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Au quartier général du bruit

Publié le 20 novembre 2008 par Menear
Je sors du boulot, je sais que cela fait trois jours que je n'ai rien écrit ou presque puisque mes jours changent, puis je m'assois contre le plastique-mosaïque et lit une quinzaine de pages de Kafka en attendant mon train. Je le lis écrire que cela fait trois jours qu'il n'a rien écrit, que son boulot, etc. Puis je m'engouffre dans le RER et le reprend, le bruit se diffuse tout contre moi, et je le vois plaqué sur son bureau, mon bruit moderne diffusé jusque sur lui, par vagues opaques des tunnel sous-terrains. Nous sommes en 1911 et cette première phrase superbe lui tombe des mains.
5 novembre.
Et je veux écrire, avec un tremblement perpétuel sur le front. Je suis assis dans ma chambre, c'est-à-dire au quartier général du bruit de tout l'appartement. J'entends claquer toutes les portes, grâce à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont épargnés, j'entends même le bruit du fourneau dont on ferme la porte dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe, vêtu d'une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte les cendres du poêle dans la chambre d'à côté, Valli demande à tout hasard, criant à travers l'antichambre comme dans une rue de Paris, si le chapeau de mon père a bien été brossé, un chut! qui veut se faire mon allié soulève les cris d'une voix en train de répondre. La porte de l'appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d'une gorge enrhumée, puis elle s'ouvre un peu plus en produisant une note brève comme celle d'une voix de femme et se ferme sur une secousse sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l'oreille. Mon père est parti, maintenant commence un bruit plus fin, plus dispersé, plus désespérant encore et dirigé par la voix des deux canaris. Je me suis déjà demandé, mais cela me revient en entendant les canaris, si je ne devrais pas entrebâiller la porte, ramper comme un serpent dans la chambre d'à côté et, une fois là, supplier mes sœurs et leur bonne de se tenir tranquilles.
Kafka, Journal, Livre de poche, trad : Marthe Robert, P.121-122.
Dimanche 10 décembre.
Il faut que j'aille voir ma sœur et son petit garçons. Avant-hier, quand ma mère est revenue de chez elle – il était une heure du matin – et nous a appris la naissance d'un garçon, mon père s'est mis à circuler en chemise de nuit dans tout l'appartement, a ouvert toutes les portes, m'a réveillé, a réveillé la bonne et mes sœurs et nous a annoncé la naissance d'une façon qui aurait pu faire croire que l'enfant n'avait pas seulement été mis au monde, mais qu'il avait déjà fini une vie pleine d'honneurs et que ses obsèques avaient eu lieu.
Ibid., P.163.

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