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Rivage

Par Liliba

femme

De loin, on dirait presque une statue. Mais quand on s'approche, on remarque que c'est une personne, une vraie, bien vivante, comme vous et moi. Oh, on le voit à peu de choses, il faut être attentif, observer, prendre son temps. Car elle ne bouge pas. Elle se tient là, debout, bien droite, les bras serrés autour des épaules, face au vent, face à la mer. Elle reste ainsi des heures durant, frêle silhouette immobile sur le rivage. Seuls, parfois, un frisson, un léger mouvement de la tête, les yeux qui se ferment, et plus rarement la main qui essuie une larme. Mais il faut l'avoir observée longtemps pour avoir vu tout cela. Elle reste ainsi des heures, quel que soit le temps, elle vient chaque jour, tous les jours depuis un an aujourd'hui. Personne ne sait ce qu'elle fait vraiment ainsi, on commence à la traiter de folle, les enfants se moquent d'elle en l'appelant "la statue"...

Au début, on avait eu pitié, on avait essayé de la consoler, de l'entourer. On savait bien dans le pays que perdre son homme à la mer, c'est dur. Mais enfin, elle n'était pas la première à qui cela arrivait, et pas la dernière non plus, dame non ! Les autres veuves avaient ravalé leurs larmes, tourné le dos à l'océan et au passé et réappris à vivre sans mari. Mais elle, elle reste ainsi, buttée, fermée, toute tendue d'amour pour son homme et de haine pour la mer qui le lui a pris. Presque angoissante. Elle est tellement statique qu'on en a le tournis, tout bouge autour d'elle, les vagues, les nuages, les bateaux des pêcheurs à l'horizon, tout bouge dans ce monde sauf elle.

Mais soudain, est-ce un jeu de l'imagination, ou les yeux qui trompent, soudain, oui, elle bouge. Elle desserre les bras et les lève au ciel, et elle crie, elle jette à la mer et au vent tout les sentiments qu'elle a retenu si longtemps. C'est un cri de fauve blessé, un râle d'agonisant, on a mal rien qu'à l'entendre. Et puis, tout à coup, le silence. On a l'impression que même les mouettes et le ressac ne font plus de bruit. Un silence de mort. Alors elle baisse les bras, et elle crache dans la mer. Puis elle se détourne et s'en va. Elle ne prend même pas la peine de ramasser son châle tombé à terre, elle tourne seulement le dos à l'océan qu'elle avait fixé si longtemps. Elle ne reviendra jamais.

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