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La cuisine italienne, histoire d’une culture

Par Argoul

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Voici un livre savoureux, par deux professeurs d’histoire des universités au nord de l’Italie. Comment s’est constitué ce qui est devenu de nos jours « la cuisine italienne » ? De cette mosaïque de terroirs à l’international-food connue de tous : macaronis, pizzas, spaghetti bolognaise… Car l’Italie, c’est avant tout un espace physique et mental, bien avant que le pays ne s’unifie, fin 19ème. Elle est ouverte sur trois mers, aux poissons différents ; elle a des échanges avec la France et l’Allemagne, mais aussi avec l’Espagne et le Levant.

Le premier livre de cuisine italien date du 13ème siècle, le ‘Liber de coquina’, probablement écrit à Naples. Mais le ‘modèle’ italien date du 15ème siècle, recyclé par la ville, lieu d’échanges et de production imprimée. Il note la fonction de passeurs des commerçants arabes ; ce sont eux qui introduisent par exemple l’aubergine depuis l’Espagne et la Sicile, considéré longtemps comme « met de juif » ; ils introduisent aussi dès le haut Moyen âge les agrumes et le sucre de canne. Haricots verts, fenouil et choux-fleurs n’apparaissent qu’au 16ème siècle, la tomate fin 17ème seulement dans la cuisine, à Naples, sur influence espagnole, la pomme de terre au 18ème comme substitut de farine lors de disettes et le poivron au 19ème siècle, considéré comme « vulgaire ». La méridionalisation de la cuisine italienne (huile d’olive, tomate, aubergine, poivron, ail, anchois, poissons de roche) est née seulement au début du 20ème siècle, avec le tourisme balnéaire !

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Manger à l’italienne, c’est surtout manger herbes et légumes. Le chic médiéval est la viande ; celle issue de la chasse des nobles ou des élevages de porcs dans les forêts germaniques et gauloises. Les régions italiennes connaissent surtout les végétaux, qui poussent bien, quelques céréales et le poisson. L’Eglise et sa coutume de faire maigre pousse à alterner chair riche et jeûne (plus de 100 jours par an !). Les nobles et les bourgeois des villes peuvent faire venir du frais à grand frais ; les pauvres des campagnes sont condamnés à ce qui pousse en saison et aux conserves, en général salées ou séchées, ce qui forme un goût particulier. Ce goût, justement, se distingue selon la classe : qui est riche aime l’épice et le sucre – rares et chers ; qui est pauvre se contente de sel, d’herbes aromatiques locales et préfère l’aigre au doux. Minestrone, polenta et rizotto sont des plats de pauvres.

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Et les pâtes ? C’était aussi un plat de pauvres, mais « les Romains connaissaient déjà, comme d’autres populations de la Méditerranée et d’ailleurs, la pratique de pétrir la farine avec de l’eau et de ‘l’étaler’ en une large feuille appelée ‘lagana’ – la future lasagne – qui était ensuite découpée en bandes avant d’être cuisinées » p.84. Ce n’est qu’au Moyen Âge que la méthode de faire bouillir la pâte dans l’eau, le bouillon ou le lait est apparue. Les pâtes sèches seraient dues aux Arabes (dès les recueils de cuisine du 11ème siècle) pour se garantir des provisions lors de leurs caravanes à travers le désert. Les pâtes longues ne seraient donc pas dues à Marco Polo mais aussi aux Arabes. En témoignent des images du 14ème siècle, moment où apparaît d’ailleurs en Italie la fourchette tant il est difficile de manger des pâtes brûlantes et glissantes avec les doigts… Les pâtes se mangent systématiquement avec du fromage ; l’usage de la tomate en sauce n’est adopté que vers 1820. Quant aux raviolis, ils dérivent de la tourte et désignaient autrefois la seule farce.

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Un chapitre est consacré à la diététique. Dès la Renaissance, on se préoccupe du bon équilibre alimentaire fondé en premier sur les distinctions entre aliments « chauds » et « froids » du médecin grec Galien (2ème siècle). D’où ces associations étranges, qui subsistent jusqu’à nos jours comme le melon/Parme, la poire avec le fromage ou la salade en début de repas pour « ouvrir » l’appétit. La « réduction » bourgeoise réduit le nombre de mets en vue d’économie et de santé, valorisant l’épargne et la tempérance, pour se différencier des seigneurs dont la profusion et le décor sont pure ostentation. Avec le 19ème siècle apparaît la cuisine de restaurant comme un ordre quasi militaire : on parle de « chef » et de « brigade », l’uniforme est blanc pour signifier l’hygiène en cuisine, et noir pour le service qui est effectué comme une cérémonie. Tandis que naît le « gastronome », dandy expert en auberges et menus, la « cuisine » devient la pièce principale de la famille dans les maisons et les appartements.

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L’alimentation est très conservatrice car on se veut tel qu’on mange. Autrement dit, ce qu’on mange nous construit. La cuisine italienne évolue entre habitudes et progrès : marmite à vapeur de M. Papin (1681), froid artificiel (18ème siècle), conserves de M. Appert (1810), fours à température constante (19ème siècle), réfrigération (années 1960 seulement dans le populaire)… L’internationalisation de la cuisine italienne ne prend son essor qu’après la Seconde Guerre mondiale : le terme « pizza » est encore inconnu du ‘Larousse gastronomique’ en 1938 !

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Ce livre appétissant montre comment l’homme fait des nécessités physiques (manger) et des contraintes économiques (ce qu’on trouve, et à prix abordable) une culture. La cuisine, comme le reste, est le fruit de l’histoire. Elle dit l’apparence et le prestige, le statut social, la tradition et la nouveauté, le bien-être et l’austérité. Culture, oui : « Qu’est-ce que la gloire de Dante, à côté de celle des spaghettis ? » se demande Prezzolini en 1954. N’importe quel inculte, américain ou autre, connaît les spaghettis – mais qui connaît encore Dante Alighieri ?

Alberto Capatti & Massimo Montanari, La cuisine italienne, histoire d’une culture , 1999, Seuil 2002, 423 pages, préface de Jacques Le Goff


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LES COMMENTAIRES (2)

Par SOPHIE
posté le 06 mars à 13:56
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