Qui se souvient de Stanislas Baudry ? Peu de parisiens, pourtant, les voyageurs qui empruntent quotidiennement les nombreuses lignes de bus lui doivent beaucoup.
Stanislas Baudry. A l'arrière plan,un cheval…
Stanislas Baudry naquit en Loire Atlantique en 1780, commença des études de médecine puis s’engagea finalement dans l’armée. Sous la Restauration, colonel en demi solde à Nantes, il acheta une minoterie dans le quartier de Richebourg et y utilisa la première machine à vapeur de la région, produisant un grand volume d’eau chaude.
Il ouvrit un établissement de bains tout à côté mais ne rencontra pas le succès. Baudry pensa alors que son établissement était trop éloigné du centre ville. Pour remédier à cela, il créa le 10 août 1826 un service de voitures reliant le centre de Nantes à Richebourg.
Les voitures de Baudry partaient de la place du Port-au-Vin, devant la boutique d’un chapelier nommé Omnes qui avait inscrit sur son enseigne : Omnes Omnibus (Omnes pour tous). Les voyageurs prirent l’habitude d’appeler les voitures Omnibus. Baudry l’adopta en 1827. Transportant seize passagers, les voitures étaient toujours pleines mais les bains restaient vides. Baudry les ferma ainsi que la minoteries et se consacra aux transports.
Baudry sollicita alors l’autorisation d’ouvrir des lignes semblables à Paris. Mais le préfet de police rejeta systématiquement ces demandes ,craignant que les voitures tirées par trois chevaux de front encombrent les rues étroites de la capitale.
Le 30 janvier 1828, le préfet de police Debelleyme donna enfin l’autorisation à Baudry d’ouvrir plusieurs lignes d’omnibus à Paris. Le 11 avril 1828, Baudry mit en service dix lignes de l’ « Entreprise Générale de l’Omnibus ». Des compagnies concurrentes telles que les Dames Blanches, les Favorites ou les Citadines suivirent rapidement…
25 centimes quel que soit la longueur du trajet… Les omnibus étaient destinés aux classes laborieuses, comme l’a précisé Baudry dans sa demande de concession. L’omnibus fera des émules à travers le monde, Londres et New York.
Mais une gestion malheureuse, la concurrence (en 1830, 10 compagnies administraient 40 lignes à Paris), le terrible hiver 1829 qui fit grimper le prix du fourrage et tue les chevaux par centaines, ruinèrent Baudry.
Il laissa un testament destiné à être lu à ses associés : « … une fatalité épouvantable s’est attachée à cette malheureuse affaire, et j’ai le chagrin, l’indicible tourment après m’être ruiné d’avoir compromis la fortune de plusieurs de mes amis. Je leur en demande pardon, mille fois pardon et je les prie même de croire que je ne pensais jamais faire une chose hasardeuse… »
Stanislas Baudry se tira une balle dans la tête en février 1830, puis bascula dans le canal Saint-Martin, quai de Jemmapes, devant les écuries de l’Entreprise Générale de l’Omnibus, dont il est était le directeur.
Quelques lignes de son testament qui ne fut jamais déposé chez le notaire…
Il repose encore aujourd’hui au Père Lachaise, 37e division. Sur sa pierre tombale, on peut lire : « Stanislas Baudry, inventeur de l’omnibus en 1827 ».
Muni d’une mauvaise photographie et de la localisation de la tombe trouvée sur internet, je me suis rendu au cimetière du Père Lachaise pour retrouver la sépulture de Stanislas Baudry. La grisaille qui se déchirait parfois, laissait passer quelques rayons de soleil. J’ai cherché au milieu des pierres cassées, renversées, dans une partie du cimetière qui passe pour être une des plus anciennes.
J’ai enfin déniché la modeste pierre tombale de Baudry, cassée et reposant sur une souche d’arbre. Nul ne pourrait affirmer que cette dalle est à son emplacement d’origine. La petite zone, en hauteur, où elle repose, semble être totalement bouleversée.
C’est émouvant et bien navrant de voir cette tombe aussi abandonnée. Ne se trouvera t’il pas une institution capable de verser quelques euros pour sa restauration ? Nous devons au bonhomme qui repose sous terre, la création des omnibus et notre actuel réseau d’autobus en est un prolongement direct.
Stanislas Baudry est-il oublié ? Au moment même où je prenais quelques notes, un petit groupe s’approcha, guidé par un vieux monsieur, qui désigna la tombe par ces mots : « voilà la sépulture du fondateur des omnibus ».
Aidé par un ami des Archives Nationales (merci à toi vieux camarade!), j’ai pu consulter l’inventaire après décès de Stanislas Baudry. Il porte la date du samedi 27 mars 1830 et fut rédigé par le notaire parisien Guyet Desfontaines. Les héritiers du défunt étaient : son épouse Jeanne Elelonore Giberte de Pontchateau, demeurant à Nantes ; sa fille Eleonore Baudry, demeurant chez sa mère, mineure âgée de 17 ans et Edouard Baudry son fils. Ce dernier était « négociant demeurant à la barrière de l’étoile, hors paris commune de Passy ». Les notaires procédèrent à l’inventaire des biens au n°17 rue de Lancry, guidés par Jean Jacques Robinet « directeur gérant de la société des omnibus ». Ce dernier se hâta de précisier que les meubles de Baudry étaient tous la propriété de la société. Baudry laissait peu de biens personnels derrière lui : quelques vêtement, une montre cassée, une voiture, 15 francs dans un secrétaire.
C’est dans l’inventaire des papiers que se trouvent les informations les plus intéressantes. Tout semblait aller assez bien pour Baudry. Petit à petit, il rachetait les parts de ses associés. Mais l’affaire des terrains de Passy semble l’avoir jeté dans le précipice. Comme il en avait l’habitude, il avait créé en compagnie de quelques autres, la « Société des terrains de la plaine de Passy » dans le but avoué de construire un grand dépôt et d ‘y transférer la Société des omnibus. Il avait acquis pour cela plus de quatre hectares de terre. Avant le 23 février 1830, Baudry devait faire élever à ses frais, sur un hectare de ce terrain, des bâtiments d’une valeur totale de 250 000 francs, constitués de logements pour le personnel et de dépôts et écuries pour 120 voitures et 1000 chevaux ! En cas de non réalisation du projet, la Société des terrains de la plaine de Passy devenait propriétaire des quatre hectares. Tout cela était accompagné de plusieurs clauses assez contraignantes et difficiles à réaliser financièrement en cas d’abandon de la construction ou de réalisation partielle.
Première page de l'inventaire après décès de Baudry
Baudry avait acheté ces terrains de plus de quatre hectares pour 172 800 francs qu’il devait payer en une seule fois à la société de Passy en l’étude de Me Thifaine Desanneaux le 23 février 1839. Il devait régler à partir de 1829 les intérêts à 5% de six mois en six mois. Et cela, les terrains construits ou non.
Ses affaires tournèrent au vinaigre et Baudry se ruina. Un plongeon dans le canal acheva la vie de cet homme ingénieux et entreprenant.
Gisant parmi les feuilles mortes, la pierre tombale de Baudry
“S. BAUDRY / Fondateur / des omnibus / en 1827 / Mme Eléonore BAUDRY / sa fille / veuve ESMEIN / décédée / le 6 novembre 1888″
Une “Batignollaise”
Une compagnie concurrente : les “Batignollaises”.
Les mines effarées des voyageurs laissent penser qu'il ne faisait pas très bon voyager dans les voitures-omnibus de la compagnie Constant. Pourtant, on chantait vers la même époque sur l'air du «Vaudeville de l'écu à six francs» :
Vous qui voulez rire à votre aise
Et dont le goût est campagnard,
Prenez une Batignollaise
C'est bien plus gai qu'un corbillard
La docile Batignollaise
Atteignant l'but qui vous séduit,
Au Pèr' la Thuile vous conduit
Et l'autr' vous même au Père-Lachaise.
Les Batignollaises commencèrent à circuler vers 1830 des Batignolles au cloître Saint-Honoré. Toutes les dix minutes, de sept heures et demie du matin jusqu'à minuit, pour 6 sous, prix un peu plus cher que les autres compagnies « à cause de la côte des Batignolles qui obligeait pour cette montée à ajouter un cheval », on pouvait s'installer dans la voiture comportant trois compartiments : le coupé, l'intérieur et la rotonde. L'intérieur ne comprenait que dix-sept places plus un strapontin. Assis sur des sièges peu confortables, ballotés dans les cahotements et les vibrations du voyage, nos ancêtres vivaient déjà l'enfer angoissant des transports en commun. Flamand Gretry, dans son Itinéraire historique de la vallée de Montmorency remarquait : Ces voitures ont contribué et contribuent encore à la prospérité du pays; elles se font remarquer par la manière dont elle sont conduites, par la régularité et l'exactitude du service ( … ) Les Batignollaises traversent le quartier le plus central et le plus agréable de Paris ( … ) Cette entreprise, qui est très bien dirigée par monsieur Constant, est d'une grande importance pour les habitants de cette commune, en ce que les voitures partent de Paris après la sortie des princi-paux théatres, tels que le Français, l'Opéra-comique, le Vaudeville, etc. Elle emploie une voiture qui, de Batignolles-Monceaux, conduit d'heure en heure au port de Saint-Ouen et correspond avec le service de Paris. Cet établissement, est formé par une société en commandite, qui a fait construire à ses frais tous les bâtiments et autres objets nécessaires à son exploitation pour lesquels elle a employé environ 200.000 Fr. Le matériel de cette exploitation ne consiste qu'en six voitures, et pour lesquelles cependant elle emploie près de soixante chevaux. Près de trente individus, tant employés que conducteurs, cochers et palefreniers, y trouvent leur existence. Un décret impérial du 22 février 1855 amena la fusion de la plupart des compagnies sous la dénomination d'entreprise générales des omnibus. Les Gazelles, les Excellentes; Hirondelles parisiennes et autres voitures aux noms romantiques cessèrent alors de circuler dans la capitale.