Magazine Beaux Arts

Un paradis luxuriant

Publié le 26 novembre 2008 par Myriam

Je dois vous avouer ma totale ignorance. Quelques semaines en arrière et Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, et ses oeuvres m'étaient totalement inconnues. Et puis, il m'a suffit d'aller voir au cinéma le très beau et émouvant film que Martin Provost vient de lui consacrer (voir à ce sujet l'excellent article sur le blog "A Sauts & à gambades") pour que ma curiosité me pousse à aller voir l'exposition d'une vingtaine de ses toiles au Musée Maillol, à Paris.

A priori rien ne prédestinait Séraphine Louis (1864-1942) à devenir un peintre connu. Orpheline à l'âge de 7 ans, elle travaille comme domestique chez les soeurs de la Providence à Clermont (Oise) puis, à partir de 1901, comme femme de ménage dans les familles bourgeoises de Senlis. Et puis, certainement tenaillée par "cette nécessité intérieure de tout artiste gagné par le vrai désir de création", elle a commencé à peindre essentiellement la nuit, dans une pièce exigüe, en faisant elle même ses couleurs (elle utilisait du ripolin et d'autres ingrédients dont on ne sait pas grand chose). Cette peinture aurait pu rester inconnue, mais il a suffit d'un hasard (qui fait bien les choses parfois ...) pour que Wilhelm Uhde, amateur d'art éclairé, et négociant d'art (découvreur de Braque, de Picasso et du Douanier Rousseau), remarque un jour une nature morte posée sur une chaise et qu'il découvre que c'est Séraphine, qui fait quelques heures de ménage chez lui, qui en est l'auteur.

Séraphine - L'arbre de vie, 1928
Et quel choc ! même dans ses premières toiles de petit format comme "Les Cassis" ou "Les Chardons" que Séraphine peint vers 1920, on sent déjà un tracé sûr, un travail très minutieux (l'ensemble des petits points blancs sur chaque grain de cassis pour donner le relief) et un sens inné pour la couleur (et les contrastes).  

Mais après, quel foisonnement ! quelle luxuriance ! quel embrasement !... avec les grandes huiles sur toile qu'elle commence à peindre au cours de cette même année (ci-contre, "L'arbre de vie", 1928) on entre dans un univers à la fois très proche de celui que l'on connait et de celui qu'elle devait côtoyer lors de ses longues marches dans la campagne du côté de Senlis (lilas blancs, chardons bleus, grandes marguerites, fleurs, bourgeons, branches, arbres, feuilles, fruits ...) et à la fois très lointain tant la végétation est simplifiée, concentrée dans son essence même, superposée, réinterprétée (dans certains cas, on croit même reconnaître des végétations exotiques, comme des palmiers, ou des fleurs d'ananas, ...).

Peut être ce qui me trouble le plus, c'est de sentir dans beaucoup de ses toiles, ce mouvement qui prend ses racines dans le sol (dans la terre ou un vase, la plupart du temps l'on ne sait pas trop bien, ou un tronc d'arbre) - il est accentué par le fonds du tableau qui généralement sur le quart inférieur est d'une couleur différente -,

Séraphine de Senlis - L'arbre du paradis - vers 1929
qui se propage dans la toile en lui donnant vie (les lilas dans la toile "Fleurs et fruits", vers 1920 me font plus penser à des chenilles qu'à des fleurs ...) et qui va vers le haut en montant inexorablement jusqu'à s'envoler vers le ciel.  

Quelle intensité ! quelle force ! ainsi dans "L'Arbre du paradis" (photo CNAC/MNAM, dist. RMN / © Jacqueline Hyde), toile peinte vers 1929, on finit par parvenir aux confins de son univers, un univers qui devient fantasmagorique ... et dans lequel elle va sombrer ... Elle finit sa vie, comme Camille Claudel, internée à l'asile d'aliénée de Clermont.

"L'effet mystérieux et médiéval des tableaux de Séraphine tient au fait qu'ils sont issus d'un monde auquel nous ne sommes pas reliés". Je dirais un monde auquel nous ne sommes plus reliés. "Elle fut capable de donner une forme adéquate à cette grande expérience, de figurer sur la surface limitée de la toile une expérience illimitée". Wilhelm Uhde


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Myriam 321 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines