Me voilà à nouveau parti en randonnée
dans les rues de Paris, abandonné
au seul petit plaisir de me désorienter,
ma boussole simplement aimantée
par le rythme auto-hypnotique de la marche,
par la pensée de Queneau et de Fargue,
et par la promesse éberluée d'un jardin
perdu au creux du rêve citadin.
Et je m'enfonce très loin dans le labyrinthe,
jusqu'à ce que la fatigue m'éreinte
ou que la tombée du soir me fasse songer
au chemin du retour : prenant congé
de ma rêverie de promeneur singulier,
je me faufile enfin dans l'escalier
du métro et rentre par la voie souterraine,
sachant combien ma course a été vaine.
Avec de la chance, j'aurais rencontré Jacques
Réda. Il m'aurait monté comment chaque
rue peut, de la manière dont on la contemple,
donner vie à l'espace et par un ample
mouvement entraîner toute la perspective
dans une euphorie communicative.
Ou alors j'aurais pu croiser Jacques Roubaud,
k-way bleu et casquette noir corbeau,
occupé à consigner les menus hasards
objectifs avec lesquels il prépare
déjà, au gré des rues, son poème futur,
sans se faire écraser par les ouatures.
Jean-Pierre Chambon, Labyrinthe, Cadex Éditions, 2007, pp.11.12
notice bio-bibliographique de Jean-Pierre Chambon
Un petit florilège de citations pour renvoyer la balle à Jean-Pierre Chambon !
Il y a des années que je rêve d'écrire un "Plan de Paris" pour personnes de tout repos, c'est-à-dire des promeneurs qui ont du temps à perdre et qui aiment Paris
Léon-Paul Fargue, Le Piéton de Paris, Gallimard, 1932, 1939, L'Imaginaire / Gallimard, 1993, p. 17
Le Paris que vous aimâtes
n'est pas celui que nous aimons
et nous nous dirigeons sans hâte
vers celui que nous oublieronsTopographies ! Itinéraires !
Dérives à travers la ville
[...]
Raymond Queneau, in Anthologie de la Poésie française du XXe siècle, Tome 1, de Paul Claudel à René Char, 1983, p. 402
Avançant comme deux glaneurs dans ces ruines aplaties de la rue de Belleville, nous ne cherchons rien, puis nous ramassons n'importe quoi, enfin des châssis de fenêtre peut-être bien inutilisables mais presqu'intacts.
Jacques Réda, Les Ruines de Paris, Gallimard, 1977, p. 18
D'après Raymond Queneau
Le Paris où nous marchons
N'est pas celui où nous marchâmes
Et nous avançons sans flamme
Vers celui que nous laisserons.
Jacques Roubaud, La Forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, Poésie / Gallimard, n° 418, 2006, p. 11
Je rappelle aussi que Marie-Claire Bancquart a consacré un livre aux écrivains et à Paris, Paris dans la littérature française après 1945, La Différence, 2006. On y retrouve les poètes cités ici mais aussi Perec, Butor, Modiano, Prévert, Cendras, Deguy, Claude Simon, etc.
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