Les aléas de la circulations des musiques font que je ne reçois qu'à l'automne ce disque pourtant sorti à l'orée du printemps. Il aurait alors bien plombé mon printemps, ce beau disque de folk bizarre aux couleurs automnales. C'est que le folk est un champ immense, dont il est bien difficile de se distinguer. Et les personnalités les plus déviantes se retrouvent souvent cachées sous les épis les mieux dressés. La patte d'Ilya E. Monosov réside avant tout dans ces touches de claviers froids, qui tirent ses chansons ax fond de méandres sombres. L'artiste se distingue par une noirceur très marquée dans un genre qui nous avait habitué à la lumière ces dernières années. Du folk sombre, qui a quelque chose d'impénétrable, de tristement volatile, et pourtant pesant.
Ces notes de claviers étranges ouvrent le le disque sur un "I Open my arms" qui fascine d'emblée, puis glacent le sang lorsqu'elles viennent contaminer "Tricycle". Et les chansons qui suivent possèdent cette même profondeur insondable, dans laquelle on ose à peine mettre le pied. Quand les claviers sont chassés, ce sont des échos de percussions malades ("My Dear"), des grincements de violons tordus ("Legs and Arms") une guitare électrique éthérée ("Ms Desolate"), ou une inquiétante basse synthétique ("The beauty that you are") qui viennent hanter une base guitare-voix déjà bien dérangée. La voix refuse tout lyrisme, le xylophone ne ramène personne en enfance, les violons ne sont pas de soie, la guitare ne se joue pas au grand air.
"Ms Desolate", seule chanson où une mélodie sous-tend le chant quelque peu, confirme la filiation avec le Leonard Cohen des sixties: les deux poètes s'en tiennent au même murmure grave et sobre. "Winter Lullaby" confirme les influences slaves de l'ensemble, soit celles qui ont touché plus au coeur encore l'anglais Matt Elliott. Enregistré aux Etats-Unis, où le russe réside, Seven Lucky Plays, Or How To Fix Songs For A Broken Heart sonne pourtant comme un disque de folk européen, qui distille un profond spleen, le spleen, le vrai, celui du vieux monde, le spleen baudelairien, celui qui sent l'opium et le velours des salons, l'abandon poétique et la tristesse décadente, le folk fatigué de chanter, où les violons semblent dire « à quoi bon ».
Il y a, oui, une grande fatigue dans ces chansons, et on ne peut pas dire que le garçon semble très prolifique: Seven Lucky Plays... est en réalité une collection de chansons enregistrées entre 2002 et 2007. C'est dire si chacune est chargée d'affects, mais d'affects sans le transport, d'affects d'un homme las. Il y a, oui, une grande fatigue dans cette voix qui parle et murmure au lieu de chanter, et qui se fait tant attendre au début de "Happy Song" que l'on croit à un abandon. Et quand il termine sur le profondément émouvant "I'll live my life without pain", Ilya E. Monosov prend l'air d'un vieux sage (« Darling stop, do not cry/ I'm telling you these stories just to tell you why »), qui aurait déjà vécu des centaines d'années.
En bref: Du folk d'intérieur, sombre et sobre, dont la profondeur laisse entrevoir une certaine lassitude au monde et aux musiques de surface.
Médiatiquement discret, on ne peut compter que sur son Myspace, pour écouter, voir, et se tenir au courant.