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Alex W. du Prel, Le bleu qui fait mal aux yeux

Par Argoul

Dès les premières pages de la première des 12 nouvelles, nous y sommes : dans le bleu. alex-du-prel-le-bleu-qui-fait-mal-aux-yeux.1228045740.jpg

Ce bleu outremer se nuançant vers le turquoise acide, allant des bords de lagon au large et jusqu’au ciel. Toutes les îles ont une lumière particulière, plus vive, plus transparente, nacrée par l’étendue d’eau alentour. Les gens s’y connaissent, s’y côtoient, vivent ensemble. L’irruption des étrangers blancs depuis deux siècles, et du progrès technique depuis deux générations, changent la donne. Alex du Prel, Américain élevé pour partie en Europe, ingénieur et parlant six langues, est tombé sous le charme des îles Pacifique. Lors d’une remontée en solitaire sur son voilier en 1973, il est pris par les états d’âme propres à l’époque post-68 : ceux de Moitessier, ceux de Le Clézio. Il quitte la carrière et la modernité industrielle pour s’établir dans l’ex-paradis des îles de Polynésie. Il tient à y vivre à son rythme, en symbiose avec les éléments et avec l’esprit des habitants.

Cela nous donne ces nouvelles, tome 1 d’une œuvre qui en compte pour l’instant 2 et dont le second, ‘Le paradis en folie’ a été chroniqué ici même.

Alex du Prel se moque gentiment des expat qui savent tout, « arrivent tous comme des missionnaires » p.55 et imposent leur supériorité de civilisation – croient-ils. « Mais les cadres, les nouveaux directeurs, les professeurs de stage, eux, ils n’ont même pas une minute de stage qui leur expliquerait la mentalité des Polynésiens » p.19. L’auteur se moque gentiment de l’esprit de caste qui règne parmi les Blancs : « Les dames tahitiennes dans un coin potinaient, les dames fonctionnaires métropolitaines formaient une cour autour de Madame le gouverneur, les dames militaires autour de Madame l’amiral. Chez les messieurs, c’était à peu près le même spectacle, mais on essayait de se prendre au sérieux et il y avait moins de couleurs » p.55. Il se moque gentiment du snobisme de caste des enseignants de métropole : « c’était le jour où le directeur du petit lycée de l’île me demanda de lui dépanner sa photocopieuse (juste un engrenage s’était dévissé). Par la suite, pour le corps enseignant (de métropole), je n’était plus que ‘monsieur le mécanicien’. J’étais classé. J’étais devenu un ‘prolo’ de la classe manuelle et laborieuse et tout le triste tralala que cette condition implique. Bref, un col bleu, quoi, à ne surtout plus fréquenter ! » p.77 Il se moque gentiment du sérieux « féministe » français, alors qu’il s’agit selon lui d’un caprice de « quelques dames alcooliques et lesbiennes de la banlieue new-yorkaise ». Mais cela « devint une institution nationale en France. Enseignée dans les écoles. Représentée même par un ministère, le ministère de la Condition féminine, institution unique au monde. Ce qui est bien triste. Car cette mentalité féministe consiste finalement à infuser aux femmes ce même complexe d’infériorité qui ronge l’esprit de certaines minorités raciales des pays industrialisés. Il fait croire aux femmes qu’elles sont des victimes, qu’elles sont exploitées, et qu’il leur faut haïr l’homme, ce ‘tyran’ » p.130 De ces gentilles moqueries, il en a autant envers les executive women américaines, les comptables de Los Angeles et les machos du sud des Etats-Unis.

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L’auteur est surtout fin observateur du caractère polynésien fier, gentil, roublard. « Les Polynésiennes ont un don unique pour s’adapter aux situations imprévues et inconnues. Et un sens inné pour le cérémonial, une des bases de leur culture. Elles observeront bien les gestes des autres avant de faire un mouvement. Et elles parleront très peu » p.106 La nouvelle intitulée ‘Teiki’ conte l’absurdité administrative de vouloir qu’un natif des îles soit ‘diplômé’, lui dont la plongée est une seconde nature. ‘Une perle rare’ jubile de voir trompés des Coréens avides de perles qui achètent habituellement pour rien les bijoux naturel, profitant du désir de marchandises nouvelles de ces îliens isolés. ‘Le fantôme du Palace Hôtel’ joue sur les superstitions et le goût de l’alcool. ‘La malle de l’espoir’ est l’histoire romantique d’une mystification involontaire. ‘Un sujet de Sa Majesté’ raille sans vergogne le sentiment de classe des Anglais. ‘Le bleu qui fait mal aux yeux’ pointe la compétition aveugle américaine, son incompréhension profonde de ce qui régit la vie dans les îles et son échec face à la nature. ‘La honte du vieux’ va plus loin, remontant à l’avidité même de la civilisation…

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Par ces temps de morosité et d’automne qui s’avance, on ressort de cette lecture, au sens littéral « enchanté ». Voilà un bel antidote à la grisaille et à la maussaderie ! Une heure ou deux de parenthèse outremer. Les livres d’Alex du Prel sont cependant difficiles à trouver : ni Amazon, ni Fnac, ni Alapage, ni Chapitre ne les diffusent. J’ai réussi à trouver un site où vous pouvez vous les procurer (je n’y suis lié en rien).

Alex W. du Prel, Le bleu qui fait mal aux yeux, Editions de Tahiti 1988, 4ème édition 2002, 140 pages
Mais aussi : Alex du Prel,
Le paradis en folie sur fugues

Où trouver ces livres ?


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