Le prix du temps

Si le temps a un prix, nous avons affaire à un produit de consommation, rare ou abondant selon les cas, dont le prix variera en conséquence. Le temps n’est pourtant pas quelque objet qui puisse se montrer dans une vitrine. Pourquoi donc en parlons-nous comme d’un produit semblable aux autres ?

Dans les sociétés de consommation, écrit Jean Baudrillard, la demande de ce bien qu’est le temps balance presque celle de tous les autres pris ensemble. Cela se comprend. Posséder tout ce que l’on peut désirer posséder et n’avoir aucun temps pour en jouir serait vain ; mieux vaudrait posséder moins et avoir plus de temps pour en tirer satisfaction.

La valeur d’usage du temps est donc extrême puisque c’est la condition de tout usage. Dans quelle mesure a-t-il aussi une valeur d’échange ? On vend plus cher, note Baudrillard, un plat qui demande moins de préparation pour être consommé. Et si un avion pouvait, à coût égal, parcourir un trajet en une heure ou en deux, le billet d’une heure continuerait d’être vendu plus cher, étant plus demandé. Bons consommateurs nous avons ainsi pris l’habitude d’acheter notre propre temps.

C’est pourtant un coup de force de lui avoir mis un prix ; car sa rareté intrinsèque défie toute mesure. L’objet brisé peut être remplacé par un autre identique ; mais une heure passée l’est irrémédiablement. L’heure d’après est différente en cela même qu’elle vient après. En apparence le temps est constamment renouvelé mais en réalité le passé est définitivement passé et le présent toujours autre.

Les stoïciens jugeaient que c’est notre vie qui se perd à chaque instant, identiquement à chaque instant, sans possibilité de ressusciter le passé en tant que tel. Or ce qui est unique parce que sans équivalent devrait avoir une valeur infinie, comme ces oeuvres d’art dont on dit qu’elles sont sans prix…