Un village emprisonné dans son silence
Une brume envoûtante plane sur les livres de Philippe Claudel, qui n'aime ni les précisions géographiques ni les dates exactes. Il est probable que l'action de son nouveau roman se situe dans un village perdu des Alpes autrichiennes vers 1947.
L'avis du Comité
En quelques romans, Philippe Claudel a imposé sa voix. Dans Le Rapport de Brodeck, il adopte une fois de plus le ton de la fable. La Seconde Guerre mondiale et les camps de la mort se dessinent en arrière-plan, mais il ne fournit aucun détail précis : aucun nom de pays ou de personnage historique. Du coup, c'est l'humanité dans toute son horreur et sa beauté qui apparaît. Les êtres qui peuplent son roman acquièrent une dimension universelle.
L'extrait
"Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n'ai rien fait, et lorsque j'ai su ce qui venait de se passer, j'aurai aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme un fouine dans une nasse de fer. Mais les autres m'ont forcé : "Toi, tu sais écrire, m'ont-ils dit, tu as fait des études." J'ai répondu que c'étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d'ailleurs, et qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ils n'ont rien voulu savoir : "Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ca suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s'embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croieront.""