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Les années

Par Placebo
Annie ERNAUX, Les années, Gallimard, Paris, 2008 (242 pages).
J'aurai ce soir, ou dans la nuit ambre et noire de ce début de décembre, cette autobiographie impersonnelle d'Annie ERNAUX.
J'en ai parlé chaudement au dîner avec R., qui préfère la lecture des essais, il fréquente présentement, un peu sur mon avis, l'américain Christopher LASCH, et se méfie généralement de mes enthousiasmes. C'est un rationnel, il est dans les chiffres, mais je ne lui en veux pas. J'en ai donc parlé, entre la poire et le fromage, de ce qui, rendu à la page 22o et dans les années 2000, le 11 septembre passé, ne cesse de m'envouter : l'imbrication de la vie sociale et de la vie privée, la première façonnant la seconde, la seconde réagissant à la première.
Et la phrase simplissime d'Annie ERNAUX.
Tout s'organise ainsi, une photo « d'elle » à tel moment de sa vie. Le commentaire suit, la vie à cette époque. La famille, l'école, la profession, Paris, les hommes, les enfants, les « événements ». Le passage de la vie de famille à la vie de couple, puis à la vie en solitaire (comme la navigation). Sagan et Sartre. De Gaulle et Mitterand. Le chic des petits pois en conserve, celui du retour à la terre. Et puis, au débotté, la petite phrase qui tombe, là, et sidère.
Plutôt que de continuer à commenter, je vais céder le reste de la page, citant, comme on dit passim, à Annie ERNAUX, avec, justement, une gerbe de ces petites phrases. Fleurs de vie. De 1941 à..., suivez les années :
Les enfants cette fois regrettaient d'avoir traversé trop petits cette période de la Libération sans vraiment la vivre.
Les discours disaient qu'on représentait l'avenir.
Le silence était le fond des choses et le vélo mesurait la vitesse de la vie.
Tout le monde savait distinguer se qui se fait de ce qui ne se fait pas, le Bien du Mal, les valeurs étaient visibles dans le regard des autres sur soi.
(Monter en ville, rêver, se faire jouir et attendre, résumé possible d'une adolescence en province.)
Les gens avaient tellement la conviction de vivre mieux.
Aux désirs qui nous agitaient était opposée la sagesse des limites, « tu demandes trop à la vie ».
Elle a noté qu'elle doit disserter sur Polyeucte mais préfère les romans de Françoise Sagan qui, « bien que foncièrement immoraux, ont cepandant un accent de vérité ».
Jusqu'au mariage, les histoires d'amour se déroulaient sous le regard et le jugement des autres.
Pour l'avenir coexistent en elle deux visées : 1) devenir mince et blonde, 2) être libre autonome et utile au monde. Se rêvant en Mylène Demongeot et Simone de Beauvoir.
La profusion de choses cachait la rareté des idées et l'usure des croyances.
Penser, parler, écrire, travailler, exister autrement : on estimait n'avoir rien à perdre de tout essayer.
Le discours du plaisir gagnait tout.
Les idéaux de mai se convertissaient en objets et en divertissement.
Lire Charlie Hebdo et Libération maintenait al croyance qu'on appartenait à une communauté de jouissance révolutionnaire et d'oeuvrer, en dépit de tout, à l'arrivée d'un nouveau mois de mai.
Le temps d'avant quittait les tables familiales, s'évadait du corps et des voix des témoins.
On avait besoin de « se ressourcer ». De tous côtés montait l'exigence des « racines ».
À mesure qu'on vieillissait on n'avait plus d'âge.

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