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Publié le 10 décembre 2008 par Gregory71

Nous nous souvenons de certaines personnes qui ont traversé nos vies. Parfois, nous les croisons au hasard des rues: une parole adressée, un regard, la tête se baisse. Ces stratégies d’évitement exhibent les lagunes de nos existences. Ce ne sont pas des oblitérations, mais des éléments enfouis dont l’archéologie est toujours à portée de main. Les vestiges affleurent de toutes parts, les pas les abîment. La géographie des villes rythmait ces rencontres non désirées, ces rencontres avortées, ces rencontres détournées. Au croisement des rues, dans les appartements et les bars, on pouvait toujours croiser une femme aimée.

À cette géographie a succédé en un laps de temps très bref la géographie des réseaux qui met à disposition l’activité sociale des individus. Il y a souvent sur le réseau une page, des pages sur lesquels cette femme ou cet homme du passé inscrivent certains fragments existentiels. C’est presque rien, une photo, quelques mots, les relations d’amitié, mais cela donne le sentiment d’avoir accès à cette vie qui a été abandonné ou qui nous a abandonné, et ceci sans la réciprocité du regard échangé dans la rue. C’est une autre réciprocité qui est à l’oeuvre, elle est impaire: lire ces pages qui ont été mis à disposition de tous (donc de moi) par cette personne. Il y a un avant et un après. Il y a le possible qui met à disposition de façon indéterminée et la détermination très précise de ce rapport là à ce moment là.

Cette mise à disposition de l’autre dans le réseau a pour conséquence que jamais sans doute on ne s’échappera de la vie de l’autre. Nulle séparation ne viendra définitivement fermer l’accès à ces existences. Souvenons-vous de cet usage secret d’Internet: par simple curiosité, poussé par un sentiment confus, vous avez recherché les traces des ces femmes, de ces hommes que vous aviez aimé. C’était cela votre intimité avec le réseau, cette drôle d’enquête qui ne mène à rien.

Il faudrait sans doute pouvoir décider de boucher certains espaces du réseau, non seulement des pages déterminés mais encore leurs accès, c’est-à-dire certains mots-clés. Une manière d’oublier des pans du langage pour organiser l’oubli, pour en faire une stratégie. Et que cet oubli soit déterminé dans son avenir, en sélectionnant telle ou telle partie et en la rendant inacessible, on décidera que ce soit définitif, qu’on ne puisse revenir en arrière. Nulle fonction undo, nul possible simplement la promesse à venir de l’oubli.


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