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Beyrouth, ses héros, ses politiciens, sa mémoire

Publié le 18 décembre 2008 par Marc Lenot

Quelques jours après la sortie de leur film ‘Je veux voir’, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige présentent vidéos et photos dans la Salle Noire du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 8 mars), dans une exposition titrée ‘We could be heroes, just for one day’ (courtesy David Bowie).

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Pour commencer, on déconstruit Beyrouth : une immense photographie murale de la ville est faite de 3000 plaques aimantées, vous en décollez une, celle d’un endroit que vous avez aimé, celle d’un immeuble que vous avez vu bombardé et vous partez avec. Sous les plaquettes, des miroirs : peu à peu, la ville va se déliter, la photo va s’anéantir sous les coups des visiteurs, et il ne restera qu’un miroir, que le reflet de nous-mêmes, envahisseurs ou amoureux, face à face avec notre oeuvre de destruction (Le cercle de confusion, déjà montré ici). Sur chaque plaquette, est inscrit ‘Beyrouth n’existe pas’.

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Plus loin, c’est la mémoire même qui se laisse détruire : des tiroirs pleins de pellicules non développées depuis des années, périmées depuis longtemps et qui probablement ne contiennent plus d’images visibles (Les images latentes). Ce sont celles du mythique photographe Abdallah Farah, qui, dans un épisode précédent de Wonder Beirut, brûlait les négatifs de ses cartes postales touristiques au moment où les immeubles qu’elles représentaient étaient détruits par les bombes ennemies.

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La mémoire s’efface aussi dans le film en super 8 tourné dans les années 80 par l’oncle de Joreige, retrouvé après la disparition de celui-ci et difficilement restauré depuis, où apparaissent seulement quelques images rémanentes (‘Lasting images’), souvenirs d’un monde disparu, vision d’un bonheur détruit qu’on peine à retrouver, à faire réapparaître. Sur le mur en face, disposés en spirale, les 4500 photogrammes du film (comme chez Peter Kubelka) forment un tableau gris-bleu où l’on tente vainement de déchiffrer une histoire, image après image.

Plus loin, des affiches délavées avec des photos de martyrs, commémoration dérisoire et fantomatique, puis les vidéos de Khiam, déjà vues ici : face à l’Histoire qui se dérobe, quelles images montrer ?

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Enfin, une vidéo habitée par des mots d’amour (Toujours avec toi, Pour tes yeux, Je ne suis pas seul, A toi pour toujours) montre les affiches de politiciens beyrouthins lors d’une élection: d’abord bien propres et sagement alignées, on les voit de plus en plus mêlées, superposées, lacérées, déchirées, flottant au vent, formant des couches successives à la Villeglé, comme des strates mémorielles. Ces slogans dérisoires, ces visages qu’on reconnaît parfois (Hariri ? Joumblatt ?) composent peu à peu un montage surréel, une narration sans substance, une saturation conduisant vers la disparition de l’histoire (Toujours avec toi).

Il s’agit du Liban, bien sûr, mais au delà, c’est de mémoire que Joreige et Hadjithomas nous parlent, de l’impossibilité d’écrire l’histoire, de la disparition et de la latence. Comment, ici aussi, dire ‘Je veux voir’ ?


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