LE POÈTE
Tant qu'Apollon n'exige du poète
qu'il aille œuvrer au sacrifice saint,
vous le voyez lâchement englouti
dans les soucis futiles de ce monde.
Sa lyre sainte alors se tait,
son âme endormie et glacée
et parmi les pauvres humains
nul n'est plus que lui démuni.
Mais dès que le verbe du dieu
fait vibrer son ouïe sensible,
l'âme du poète frémit,
pareille à l'aigle qu'on éveille.
Les fêtes du monde lui pèsent,
il fuit l'humaine rumeur,
ne courbe pas sa tête altière
devant les idoles vulgaires,
mais s'enfuit, farouche et sévère,
plein d'émoi, regorgeant de chants,
vers la rive des eaux désertes,
dans l'ample clameur des forêts...
Alexandre Pouchkine, 15-VIII-1827