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Les métaux, nouvelle arme économique russe ?

Publié le 25 décembre 2008 par Infoguerre

Il est de bon ton depuis plusieurs années quand on parle de la puissance retrouvée de la Russie, de le faire au travers de l’étude du secteur énergétique. En effet, les impressionnantes ressources russes en matière d’hydrocarbures, 30 % des réserves mondiales de gaz, 6 % de celles de pétrole, ainsi que le gigantisme des entreprises du secteur, le gazier Gazprom et le pétrolier Rosneft pour ne citer que les principaux, apparaissent comme des instruments de domination économique.

Néanmoins, depuis quelques temps, on assiste à la montée en puissance d’un nouveau secteur appelé à fortement se développer, celui de l’extraction et de la mise en valeur des métaux rares et non-ferreux. 

Des réserves stratégiques 

Contrairement à certains pays comme l’Australie (nickel) ou le Chili (cuivre), la Russie ne dispose pas d’une mono-spécialisation métallique, ni même de la première place mondiale en terme de réserves. Ce qui fait l’originalité et la puissance de la métallurgie russe, c’est son incroyable variété, puisque quasiment tous les métaux de retrouvent en quantités significatives en Russie. L’immensité du territoire russe, couvrant onze fuseaux horaires, se révèle, pour une fois, plus un avantage qu’un inconvénient. En effet, dispersés sur les quelques 17 millions de km², de nombreux gisements de minerais métallifères existent, parfois dans des zones difficilement accessibles.  

La Russie disposerait de 16 % des réserves mondiales de béryllium, 11 % du chrome, 22 % du cuivre, 38 % du manganèse, 79 % du mercure, 15 % du nickel, 16 % du niobium, 10 % du platine, 7 % du tantale, 49 % du vanadium, 24 % du zinc, ainsi que de réserves importantes en métaux rares comme le rhodium.  

Ces gisements sont très largement dispersés à l’intérieur du pays. Parmi les principaux bassins métallifères on note tout particulièrement la péninsule de Kola, le sud de l’Oural, la Transbaïkalie et le Kamtchatka. La péninsule de Kola, position stratégique située à l’extrême nord de la Russie occidentale dans le prolongement de la Finlande, couvre 1,5 millions de km² et dispose de nombreuses ressources en cuivre, nickel et aluminium. Les monts Khibin, culminant à 1191 mètres d’altitude sont riches non seulement de fer mais aussi de métaux rares (columbium et tantale). C’est le principal lieu d’exploitation de Norilsk Nickel en Russie occidentale, qui extrayait en 2005 près de 14 millions de tonnes de cuivre et 300 000 tonnes de nickel (1). 

Le sud de l’Oural présente plusieurs particularités. La vieille montagne, entre Iekaterinbourg et Orenbourg, traditionnel lieu d’exploitation du bois, recèle des richesses métalliques importantes. En effet on y extrairait plus de 50 éléments de la classification de Mendeleïev (2). Cuivre, titane, tantale, vanadium, mercure, amiante, bauxite, manganèse, nickel… La liste des métaux extraits des 12 000 gisements de la région est longue et explique que Moscou considère cette région à la frontière du Kazakhstan comme particulièrement précieuse. En outre, elle présente le grand avantage d’être bien mieux desservie en matière de transports que les autres régions métallifères russes puisque la proximité d’Iekaterinbourg, capitale du district fédéral de l’Oural, permet une interconnexion avec un important réseau ferré. 

Le long du trajet du transsibérien, la Transbaïkalie se révèle, elle aussi, riche en métaux divers. A côté du bassin charbonnier du Kouzbass, dans l’oblast de Novossibirsk, on extrait de l’aluminium, du zinc, du tungstène. Plus loin vers l’est, dans l’oblast de Tchita, se trouve le gigantesque gisement de cuivre de l’Oudokan qui serait selon les estimations le 3e gisement mondial de cuivre. 

Enfin dans l’Extrême-Orient russe, où les difficultés tant de transport que de travail transforment l’exploitation en aventure, le Kamtchatka est riche en toutes sortes de métaux : rhodium, colombium, tantale, etc. Ne doutons pas que la hausse quasi-continue du cours des métaux depuis quelques années pousse bientôt à une exploitation massive de ces réserves, les coûts d’extraction étant maintenant compensés par les profits réalisables sur le marché des matières premières. 

De puissants groupes industriels 

En plus de pouvoir compter sur l’imposante diversité de ses richesses métalliques, la Russie possède l’infrastructure industrielle nécessaire à leur mise en valeur au travers de ses groupes métallurgiques. Issus des anciens « mangeurs de métal » de l’époque brejnévienne, les puissants groupes actuels apparaissent, suite à leur restructuration au tournant des années 2000, comme une force sur le marché international. 

Norilsk Nickel est le principal d’entre eux. L’entreprise de l’oligarque Vladimir Potanine bénéficie d’une large surface financière, ayant vendu en 2007 pour près de 16 milliards de dollars de métaux divers (nickel, cuivre, platine, palladium, rhodium, iridium, tellurium, ruthénium). Les ventes en valeur de l’entreprise sont en croissance constante depuis 2002 (même si cette année risque d’être plus difficile) grâce à l’envolée du cours de certains métaux, le cuivre par exemple avait atteint son maximum en juillet 2008 à 8980 dollars la tonne après une croissance continue depuis 2004. Cette manne financière, bien qu’actuellement remise en cause suite à la crise, a permis à Norilsk Nickel de se développer à l’international : Australie, Botswana, Afrique du Sud, Canada (après le rachat en 2007 de LionOre, un des principaux producteurs mondiaux de nickel). Aujourd’hui, ce géant des métaux revoit ses ambitions à la baisse, mais la diversité de ses productions (14 minerais différents) et de ses implantations devrait lui permettre de facilement rebondir. 

Rusal est le premier producteur mondial d’aluminium. Présent dans 19 pays dispersés sur l’ensemble des continents (Nigeria, Guyana, Italie, Guinée, Arménie, Australie, etc.) le groupe russe se diversifie dans l’extraction de métaux rares comme le gallium, utilisé dans l’électronique de pointe et l’aérospatiale. Employant 90 000 personnes, Rusal apparaît comme un groupe particulièrement offensif, d’autant plus que, comme Norilsk,  depuis quelques années il s’étend en Europe.  

On pourrait croire que la crise actuelle va remettre en cause ce bel édifice, mais ce serait mal connaître le Kremlin et sa volonté de puissance. En effet, malgré la baisse des cours des métaux, la tonne de nickel a chuté de 33 250 dollars en février 2008 à 8800 dollars au mois de novembre, l’Etat russe porte à bout de bras ses champions nationaux. Le manque de liquidités obligeant les grands groupes nationaux à faire appel à la générosité du Kremlin a renforcé la mainmise de ce dernier sur l’économie russe toute entière (3). 

Une nouvelle raison de se rapprocher ? 

De fait, le secteur des métaux rares et non-ferreux est particulièrement stratégique pour Moscou. Depuis les métaux communs, comme le cuivre et le nickel, jusqu’aux métaux rares, comme le rhodium et le gallium, l’ensemble des productions nationales peut permettre à la Russie de disposer d’une nouvelle arme économique pour de futures négociations. En effet, la plupart de ces métaux trouve une application dans les secteurs de l’électronique, de l’informatique, de la mécanique de précision, voire de l’aérospatiale et du nucléaire. Ainsi, le cuivre a une importance majeure dans les composants électroniques et les câblages, le rhodium entre dans la composition des catalyseurs de voiture et des appareils à rayons x, le gallium et le tellurium sont utilisés dans les semi-conducteurs, le niobium est utilisé en industrie nucléaire et aérospatiale et le ruthénium sert à fabriquer des disques durs et des supraconducteurs. 

Ainsi l’on voit bien toutes les potentialités que recèlent les métaux russes en matière géopolitique ; des économies voulant se diversifier dans les secteurs de l’électronique et de l’informatique ont tout intérêt à se rapprocher de la Russie pour bénéficier de tarifs avantageux sur ces matières premières. L’Inde, traditionnellement proche de la Russie depuis la Guerre Froide, et la Chine, qui se rapproche depuis quelques temps de son voisin russe, sont les deux Etats qui semblent le plus intéressés par ces possibilités. En effet, l’économie indienne qui se développe de plus en plus dans l’informatique, grâce à sa capacité de formation d’ingénieurs, a besoin des matières premières qu’elle ne produit pas pour garder un avantage compétitif. De son côté la Chine, bien qu’encore peu concernée par ce phénomène, lorgne du côté de la Russie dans une optique de développement à moyen-long terme d’entreprises de haute technologie capable de lui servir tant de vitrines que d’armes économiques. Russes et Chinois, en pleine coopération pétrolière, semblent enclins à se rapprocher encore plus à l’avenir ; et l’on se demande quelle en sera la conséquence pour l’Occident ?  

Nicolas Mazzucchi 

  1. Source : US Geological Survey, décembre 2007.
  2. Jean Radvanyi, La nouvelle Russie, Paris, Armand Collin, 2000, p. 341.
  3. Jacques Sapir, « Le sauvetage par le Kremlin des entreprises russes victimes de la crise de liquidités internationale renforce encore le capitalisme d’Etat », Le Monde économie, 18 novembre 2008.

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