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"La Fille coupée en 2" : au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable...

Par Vierasouto

On se bousculait hier soir sous la pluie pour aller voir le "dernier Chabrol", on en sortait en silence, assommés, consternés... "La Fille coupée en deux" est un naufrage d’où on ne sort pas indemne, sa foi en Chabrol dûment ébranlée, même si ses deux derniers films n’étaient pas terribles, c’était sans commune mesure avec cette fille coupée en 2 qui se met en quatre...
Que faire pour extraire de bons souvenirs de ce film où l’ennui le dispute à l’agacement ? C’est une histoire à laquelle on ne croit jamais et cela du début à la fin. En y réfléchissant, l’extrême dernière partie du film rejoint une veine où Chabrol est plus à l’aise : le drame cynique bourgeois quoique lui-même semble las de ressasser… Car le véritable sujet narcissique du film n’est pas l’amour d’une fille jeune et belle pour un type vieux et pervers alors qu’elle est aimée d’un homme jeune, beau et barge, non, le sujet, c’est la date limite de la séduction de l’homme mature projeté dans le personnage de Berléand. L’âge de l’homme trop vieux pour faire jeune, que l’héroïne câline en lui disant que ça n’a pas d’importance, leur 30 ans d’écart et des poussières, mais qu’elle appelle papy à la première dispute… L’âge de celui qui ne cesse de dire qu’il ne faut pas en parler. François Berléand, omniprésent dans le cinéma français dont il est un des meilleurs éléments, a trouvé ici son ticket de sortie, il est triste et transparent, comme forcé d'être là… Voyez plutôt, on lui fait jouer multe scènes torse nu, du genre blanc et atone qui n’a jamais vu une haltère de sa vie même en photo, et on le filme buste coupé dépassant des drap d’un lit d’étreintes, embrassant comme qui dirait "à bouche que veux-tu" l’incontournable Ludivine Sagnier, aux faux-airs de Bette Davis, regard lourd et physique plutôt ingrat, dont on a décidé arbitrairement depuis quelques temps qu’elle serait la grande actrice française ("Tous se l'arrachent" proclame la une du magazine "Première" du mois d'aout) abonnée aux emplois de séductrice. Comme disait un réalisateur qui a fait tourner autrefois l’actrice enfant "si j’avais imaginé que cette gamine deviendrait la future Bardot…", on le comprend…
Comment croire une minute à ce scénario où, primo, une pseudo bimbo carriériste tomberait raide amoureuse d’un écrivain sexagénaire misanthrope en entrabaillant la porte d’une loge à la télé, secundo qu’elle provoquerait la passion instantanée de tous les hommes qu’elle rencontre, l'écrivain, l'héritier, le directeur de l'antenne, etc... (parce qu’on a pris soin de la teindre en blond platine Marilyn?), tertio, qu'elle préférerait le plus vieux au plus jeune au point de jouer la Dame aux camélias? Tout sonne faux, le réglement de compte étant trop caricaturé, les personnages bâclés… L’écrivain et les fausses émissions littéraire à la télé (comme dans le dernier Lelouch "Roman de gare", un film réussi qui a la foi en son sujet), le faux présentateur arrogant qui n'a pas lu le livre, la bimbo, Miss Météo, à qui on donne une émission stupide en solo. L’écrivain, son épouse et son ancienne maîtresse (nommée Capucine!) qu’il retrouve entre deux portes dans le bordel mondain Lyonnais que sa femme, "une sainte", ne fréquente pas, les deux femmes présentées dès le départ comme le bien et le mal, l’épouse vêtue de blanc, Capucine/Mathilda May de noir des pieds à la tête… Quant au rebondissement final, demi happy-end avec la scie circulaire du prestidigitateur sur l’héroïne pour mettre le point sur le i du titre symbole, c’est lourd, c’est long, et la fin n'en finit pas, encore une image de sourire courageux de l'héroïne "la vie continue" (et combien de ces visages on a vus et revus tout le long du film, comme coupés à la guillotine, en gros plan sur fonds blanc ou d'une tapisserie de couleur... )

Ludivine Sagnier et François Berléand

© Wild Bunch Distribution


Présentatrice météo, Gabrielle Deneige, jeune femme ambitieuse et impatiente, tombe un jour par hasard sur le célèbre écrivain, Charles Saint Denis, coup de foudre immédiat. Le même jour, le riche héritier des laboratoires pharmaceutiques Gaudens, jeune homme dégénéré et cyclothymique, tombe amoureux d’elle sans retour. A mi-film, quand le vieil écrivain plaque la jeune héroïne après une nuit d’orgie, on est arrivé au summum de l’étonnement : l’héroïne se laisse mourir de chagrin, au début, on croit à une plaisanterie, Chabrol se fiche de nous, ça va stopper… mais ça continue, la mère de Gabrielle prend des mines, va relancer le second amoureux éconduit pour la consoler et cette consolation prend la forme d’un séjour dans un palace de Lisbonne avec relation platonique et shopping "Pretty woman", la miraculée se forçant à dépenser l’argent du riche héritier pour lui montrer qu’elle va mieux grâce à lui… (grande psychologie féminine...) C’est un peu plus tard qu’on aborde le seul moment crédible du film : la famille de Paul Gaudens avec sa mère/Caroline Sihol et ses relations avec cette épouse de son fils qu’elle n’a pas acceptée. On revient alors au Chabrol critique de la grande bourgeoisie mais on n’y reste pas : on repartira ensuite pour les fortunes de l’oncle magicien et le rêve, "Madame Bovary", c’est moi, disait Flaubert, bienvenue au club…

Benoît Magimel et Ludivine Sagnier

© Wild Bunch Distribution


Côté interprétation, c’est la débandade, avec un solide casting, on en arrive à ce chacun, hormis Berléand en mode veille, fasse son show. Ludivine Sagnier se dandine et cabotine au superlatif, pas sûr que ce rôle censé la mettre en valeur ne révèle pas ses limites. Même Benoit Magimel, le meilleur acteur sur la place de Paris, met une bonne moitié du film à trouver le ton juste, outré, hésitant, livré à lui-même dans un rôle grotesque, il finit par laisser tomber la caricature, enfin… On note la présence de seconds rôles ne se laissant pas influencer par l’entreprise de parodie pour tous, jouant juste dans "leur coin" : Mathilda May, longiligne et lasse, en séductrice vieillie et libertine, Caroline Sihol en mère abusive ultra-bourgeoise. Depuis la période Stéphane Audran, puis celle Isabelle Huppert, Chabrol peine à trouver la relève féminine, sauf avec Emmanuelle Béart ou Sandrine Bonnaire, génération intermédiaire, mais depuis quelques années, avec Mélanie Doutey ("La Fleur du mal"), Laura Smet ("La Demoiselle d’honneur"), Ludivine Sagnier ("La Fille coupée en 2"), ce rajeunissement du casting semble lui être fatal, et à Benoit Magimel aussi, présent dans les trois films …

Au fond, on ne sait pas si Chabrol a pris au sérieux ce pathétique scénario suicide ou si tout le film ne serait au fond qu’un pastiche de drame, un mélo pour rire, une compilation obèse de la critique sociale de la bourgeoisie, saura-t-on jamais… A éviter si on veut revoir avec sérénité un beau et vrai Chabrol comme "Que la bête meure" ou "Le Boucher" ou "Violette Nozières" ou "Merci pour le chocolat" plus récemment, et bien d’autres...


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