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La démocratie libérale, « horizon indépassable de notre temps » ?

Publié le 31 décembre 2008 par Roman Bernard
La démocratie libérale, « horizon indépassable de notre temps » ?Deuxième métaphore consécutive empruntée à Jean-Paul Sartre après celle, plaisante, du « compagnon de route », appliquée là encore non pas au marxisme et au communisme, mais au libéralisme et à sa transcription sur le plan politique, la démocratie libérale. À la lecture d'un article du dernier numéro de Foreign Affairs, intitulé « The Myth of the Autocratic Revival » (« Le mythe du renouveau autocratique »), on pourrait penser que, comme l'avait prophétisé Francis Fukuyama à la chute du Mur de Berlin, la démocratie libérale sera adoptée en pratique par tous les pays de la planète. Qu'elle est devenue, en quelque sorte, l'« horizon indépassable de notre temps ». Les deux co-auteurs, Daniel Deudney et G. John Ikenberry, ont d'ailleurs sous-titré leur article « Why liberal democracy will prevail » (« Pourquoi la démocratie libérale va s'imposer »). Ils démentent ainsi l'idée selon laquelle la résurgence actuelle de la Chine et de la Russie signifierait l'émergence d'un modèle de développement capitaliste, certes, mais ne reposant pas sur la démocratie libérale telle que les sociétés occidentales l'entendent communément.
Fausse distinction entre libéralismes politique et économique
Tout l'objet de l'article, à travers la réfutation des contre-exemples russe et chinois, est de montrer que la distinction usuelle entre libéralismes politique et économique est fausse, partant qu'il ne peut y avoir de libéralisme économique véritable que dans un système politique libéral.
Ce qui laisse à penser, selon les co-auteurs, que soit la Chine et la Russie prendront le chemin progressif de la libéralisation politique, soit leur développement économique spectaculaire jusqu'à présent finira par stagner, puis par péricliter. En conséquence, qu'il n'y a aucune alternative sérieuse à la démocratie libérale.
Ils postulent donc l'universalité du modèle démocratique libéral, liant ses deux aspects indissociables selon eux, économique et politique.
Des conditions de libéralisation du système politique et économique chinois
Les éléments ne manquent pas pour accréditer cette thèse, notamment dans le cas de la Chine : l'enrichissement d'une classe moyenne d'importance numérique croissante, et le développement d'une véritable société civile en parallèle, créent certaines des conditions nécessaires à la libéralisation du système politique et économique chinois.
Comme le rappellent les auteurs, le récent scandale du lait frelaté a fait apparaître un vaste mouvement de protestation civile, qui présage de luttes politiques à venir pour faire évoluer le régime chinois, dont l'incurie semble de plus en plus manifeste, notamment en raison de sa corruption et de la circulation verticale de l'information.
Concernant cette dernière, les possibilités techniques existantes d'accéder à des sources extérieures d'information vont probablement contraindre le régime chinois à abandonner son inutile politique de censure de la Toile, ce qui aura, en retour, des effets sociaux, culturels et politiques certains. Ces effets sont rendus possibles par l'ouverture croissante des jeunes Chinois aux démocraties libérales occidentales, notamment par les études à l'étranger, l'apprentissage de l'anglais ou d'autres langues indo-européennes, la réception d'étudiants et de cadres occidentaux en Chine.
Une intégration contraignante pour la Russie et la Chine
D'autant que les succès économiques respectifs de la Russie et de la Chine sont liés à leur intégration à un système international dont les institutions (OMC, FMI, Banque mondiale) portent la marque des démocraties libérales occidentales, États-Unis en tête.
L'intégration des autocraties émergentes à un système libéral doit conduire, du fait des interdépendances et des pressions, à leur évolution progressive vers la démocratie.
Le problème de cette croyance en une universalisation graduelle de la démocratie libérale au monde entier ne vient pas seulement du fait qu'elle affirme, du fait d'une observation empirique de l'évolution politique et économique, qu'il n'y a qu'une seule voie possible vers la modernité, celle de la démocratie libérale de type occidental.
Il ne vient pas uniquement non plus du fait qu'elle repose sur un postulat dont la validité historique n'a pas encore été démontrée par les faits. Le double problème majeur de cette approche est qu'elle méconnait deux types de paramètres qui, dans les cas respectifs de la Russie et de la Chine, remettent en cause cette prophétie.
Des territoires peu propices à la démocratie libérale
Le premier est contingent aux territoires russe et chinois. Contrairement aux autres « pays-continents » (États-Unis, Canada, Brésil, Australie) dont les frontières sont relativement sûres, la Chine et la Russie sont toutes deux confrontées à des forces centrifuges pouvant conduire à des séparatismes, au Xinjiang et au Tibet (sans parler de Taiwan) pour la première, dans le Caucase et en Asie centrale pour la seconde.
Étant données les dimensions des deux pays, ces situations obligent à l'existence d'un pouvoir central fort, apte à placer d'importantes ressources militaires aux frontières.
Un obstacle d'ordre culturel
En outre, et c'est sans doute le plus important, l'obstacle à l'avènement de la démocratie libérale dans des pays non-occidentaux est d'ordre culturel. Si, comme le cas du Japon le prouve bien, cette implantation n'est pas impossible, elle requiert une occidentalisation des cultures d'accueil qui, pour être réalisable, n'en présente pas moins de grands dangers, comme le rejet éventuel de cette greffe par les populations. Le succès de l'établissement de régimes marxistes en Amérique latine, par rejet de l'hégémonie américaine, l'a d'ailleurs bien illustré.
Les auteurs, dont l'approche culturelle est totalement absente, ont ainsi beau jeu de conclure leur article comme suit : « Liberal states should not assume that history has ended, but they can still be certain that it is on their side » (« Les États libéraux ne doivent pas supposer que l'histoire a pris fin, mais ils peuvent continuer à être sûrs qu'elle est de leur côté »). Une telle prétention à l'universalité relève davantage de l'auto-suggestion que de l'analyse objective des faits. Si la paix perpétuelle kantienne demeure un idéal désirable, il serait faux, et absolument inconséquent, de prétendre que le XXIe siècle va forcément en confirmer l'avènement.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.

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