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Article : Ushijima

Publié le 20 janvier 2005 par Julien Peltier

Ushijima
L'usurier de l'ombre

« Entre être dépouillé et dépouiller, il faut choisir »… voilà en peu de mots la désagréable impression qui ressort de la lecture d’Ushijima, manga choc de Shôhei Manabe retraçant le parcours jonché de malheurs d’un préteur sur gages japonais, un « yamikin ». Mettant en avant les sombres facettes de notre société de consommation moderne et les parcours chaotiques des multiples victimes de ce système, Ushijima est un de ces mangas dont on ne sort pas totalement indemne, la faute à une fiction qui au final n’est peut être pas si éloignée que ça de la réalité…



Article : Ushijima

© by MANABE Shohei / Shogakukan
Malgré son visage austère et impassible surmontant un physique impressionnant, Ushijima, 23 ans, est en apparence (comprenez officiellement) un directeur sans histoire d’un entreprise de crédits. Pourtant, son activité est nettement moins louable, puisqu’il s’agit en réalité d’un préteur sur gages, un « Yamikin », qui prête illégalement des sommes d’argent à des taux d’intérêt exorbitants, et dont les méthodes de remboursement sont pour le moins peu en accord avec la légalité. Totalement impassible à une quelconque forme de misère humaine, il exploite et extorque sans vergogne ses clients, ses « esclaves », profitant de leur détresse, l’aggravant même, pour faire fructifier son entreprise et s’enrichir.
Ne reculant devant aucun moyen pour recueillir ses versements, il accule ses redeveurs avec une distance et une froideur effrayante, jusqu’à les faire sombrer dans l’enfer le plus sombre. Drogues, arnaques à l’assurance, suicides assistés, menaces, prostitution…tel est le triste sort réservé à ceux qui croiseront sa route. Car Ushijima n’est pas un homme ordinaire, il est un un tortionnaire, un prédateur, se nourrissant de la détresse des êtres faibles, victimes broyées par la société de consommation moderne.

Article : Ushijima

< © by MANABE Shohei / Shogakukan
Réservé à un public averti, Ushijima est l’un de ces trop rares mangas qui, au travers de leur histoire, mettent en avant tous les dysfonctionnements de notre société moderne, et la façon dont elle écrase jour après jour ses habitants. Dans la lignée de Say Hello To Blackjack, Ki-Itchi, ou plus récemment Charisma, il met en scène le parcours chaotique de ces hommes et femmes ordinaires aux prises avec leurs propres faiblesses dans un environnement implacable d’une cruauté sans borne. Du salaryman sans histoire, à la jeune femme hypnotisée par la mode, en passant par les joueurs et parieurs compulsifs, tous se retrouve alors emportés par une spirale infernale dont la fin ne pourra être que tragique. Pression sociale, hiérarchie omniprésente, matraquage médiatique et publicitaire, exclusion des laissés pour comptes… l’auteur, Shôhei Manabe, dénonce froidement et sans fioriture les dérives de la société de consommation, gangrenée en son cœur par une dépendance cruelle à l’argent.
Pire, il montre non seulement comment la société détruit les personnes les plus faibles, mais à l’opposé, comment elle permet la genèse d’êtres dont l’humanité semble s’être évanouie, à l’instar du personnage d’Ushijima, « yamikin » d’une froideur à glacer le sang, dont l’insensibilité atteint son paroxysme à mesure qu’il écrase l’existence de ses pairs. Ces derniers, victimes déchus de leurs faiblesses respectives, n’ont alors plus leur place au sein de cette société qui les a tour à tour accueillis, façonnés puis brisés…

Article : Ushijima

© by MANABE Shohei / Shogakukan
Œuvre d’une maturité certaine dans son scénario, Ushijima bénéficie parallèlement d’un trait incisif et sans concession, qui s’il en rebutera certain au premier regard, saura au final s’inscrire parfaitement dans la logique du récit. Si le chara-design et les décors bénéficient d’un soin particulier et fourmillent de détails, c’est surtout au niveau des visages que l’attention se portera de prime abord. Car pour asseoir définitivement l’atmosphère glauque et noire du récit, l’auteur fait transfigurer sur ses personnages la peur, la violence, la tristesse ou le désespoir, leur offrant alors des visages déformés et assombris.
De plus, ne cherchez aucune forme de censure dans le rendu des scènes « choquantes », comme celles de prostitution, de rixes ou de drogues, il n’y en a aucune…La réalité est telle qu’elle est, choquante et dérangeante, et l’auteur entend la montrer de cette manière, sans artifice ni fioriture. Les âmes sensibles s’abstiendront donc…

Article : Ushijima

© by MANABE Shohei / Shogakukan
Manga dur et implacable, reflet d’une société idéalisée mais sans concession, Ushijima est une œuvre dérangeante mais indispensable qui, si elle laissera au lecteur un inévitable sentiment de malaise lors de sa lecture, permettra peut être d’apporter un regard nouveau sur les dangers de la société de consommation telle qu’elle a été façonnée.
Ayant conquis une reconnaissance auprès de ses pairs, comme le démontre sa sélection au 36e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême dans la catégorie « Sélection Officielle », Ushijima est un manga choc, qui saura également s’attirer les faveurs d’un public averti, désireux de mieux comprendre le monde qui l’entoure… à condition de ne pas s’endetter pour l’acheter !

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© by MANABE Shohei / Shogakukan

Ushijima

Titre original : Yamikin Ushijima-kun (闇金ウシジマくん)
Scénario / Dessins : Shôhei Manabe
Prépublié dans le Big Comic Spirits depuis 2004
Editeur VO : Shogakukan
Editeur VF : Kana
Spiky
Pour en savoir plus, voir le site officiel : http://www.Mangakana.com
Le manga « Ushijima » est sélectionné pour le 36e festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême, dans la catégorie « Sélection officielle » : Voir la sélection officielle
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Article paru le 05/01/09



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