Dehors la neige tombe trop fine : depuis que j'ai quitté St-Etienne aucune neige ne tient plus nulle part. Elle tombe sur le Louvre à côté et sur le Café du Louvre en face puis elle fond vite à peine l'asphalte effleurée. Je cherche à voir la neige fixer la rue mais non, les voitures circulent normalement.
Durant ma lecture de midi, je tombe sur :
L'hallucination consistait en ce que mon esprit semblait se déplacer librement à travers la pièce. Une source de lumière unique tombait de façon uniforme sur la table. Olivecrona (à moins que ce soit moi), se penchait en avant. Sa blouse s'était prise dans le grand tabouret et je le vis la dégager avec son pied. La lampe fixée à son front projetait sa lumière dans la cavité béante de mon crâne. Il avait déjà drainé le liquide jaunâtre. Les lobes du cervelet avaient l'air de s'être affaissés et séparés l'une de l'autre et il me semblait voir l'intérieur de la tumeur ouverte. Il avait cautérisé les veines sectionnées avec une aiguille chauffée au rouge. L'angiome était visible, étalé à l'intérieur de l'abcès, un peu de côté. La tumeur elle-même ressemblait à une grosse boule rouge. Dans ma vision, elle paraissait de la taille d'un petit chou-fleur. Sa surface en relief formait un motif, comme un camée ciselé. Le modèle suggérait vaguement un buste de femme. Oui, une femme embrassant son enfant. Sur la tête de la mère, se dessinait une dentelle italienne. Le bambino, vu de profil, s'accrochait à son cou.puis regarde ma salade de pâtes jaunes aux Surimi d'un œil affecté. J'hésite puis ne finis pas.
Frigyes Karinthy, Voyage autour de mon crâne, Viviane Hamy, trad : Françoise Vernan, P.225.
Durant l'après-midi je
pense aux fictions très courtes que je pourrais disséminer entre les pages du Journal, l'une partirait dans l'espace et l'on ramasserait des débris, des ordures, pour recyclage – me dis que janvier est un bon mois pour lire Antoine Volodine mais je n'en aucun sous la main – espère que ce con là qui me prend pour son chien ne rappellera plus – essaie d'écrire les quelques lignes de ce billet entre deux commandes à enregistrer – tente de me souvenir du titre de cette chanson piégée depuis ce matin entre mes tempes, sans succès – vois tomber la neige encore, mon chauffage privé collé au mur qui brasse de l'août à plein régime contre moi – me dis que je mangerais bien quelque chose de joli ce soir.
Dehors : six minutes pour gagner le 16h37, et gare à pas se laisser prendre dans la boue brune des trottoirs, la neige des centre-villes, qui laissent plier les chevilles. Plus haut, mes gants trop grands que je ne sais pas où mettre.
Je vois dans le train du retour qu'une chaussette noire stagne dans une flaque de boue séché entre les deux portes et personne pour s'y intéresser. Arrêté un moment en gare de C. nous repartons finalement au moment même où un autre train type Secteur 7 démarre sur un quai voisin, celui-ci dans l'autre sens : la plaque de béton prise entre, celle qui dit Ne pas descendre ici semble bloquée dans un paradoxe temporel, incertaine du mouvement à suivre, déchirée entre les deux trains antagonistes. Le paradoxe se poursuit : assis à l'envers du sens du rail, l'impression d'être aspiré par le temps, de remonter l'ordre des choses (la vitesse aussi). Un peu plus tôt : un étang près de G. complètement gelé en contrebas et la neige déposée par dessus comme une feuille de calque. Y retrouver par hasard le titre de ma chanson perdue ; c'était Nylon smile.