Le mot est péjoratif : l’idéaliste est ce rêveur égaré dans un autre monde, le monde des idées, où tout est limpide, à l’abri des obstacles de la vie, contre lesquels se heurtent les autres, pour qui il y a loin de l’idéal aux réalités de ce monde. Est-ce tout ce qu’il y a à dire de l’idéaliste ?
Celui qui n’a pas d’idées, c’est communément celui qui est démuni devant les difficultés, réduit à attendre qu’un autre trouve l’issue. Mieux vaut alors avoir des idées. Mais quand il s’agit d’idéaux, de l’Idée de justice ou de sagesse, on se montre souvent plus sceptique.
Car aucune société n’est parfaitement juste, aucun homme tout à fait sage, et l’ami parfait est un personnage de roman. Belles idées assurément, mais loin de terre, inaccessibles : à quoi bon rêver à des chimères que tous les exemples démentent ?
La perfection que représentent ces idéaux n’existe pas. Mais à la différence du rêve, elle n’est pas fantaisiste, parce qu’il n’y a qu’une façon de la concevoir : il y a mille degrés de perfection, c’est-à-dire d’imperfection, mais un unique sommet, d’où se mesurent les autres degrés. Ou le sage est sans défaut, ou c’est un homme comme les autres ; il n’y a pas de milieu.
La parfaite sagesse n’existe pas, soit. Mais s’il n’existe au monde que des traîtres, la loyauté est-elle pour cela vide de sens ? En réalité, elle seule permet de juger les hommes indignes, au lieu d’accepter le fait sans protester. Ainsi, une Idée peut ne pas exister sans valoir moins ; au contraire c’est nous qui valons d’autant moins que nous nous en éloignons.
Nul n’est donc plus lucide et vigilant que l’idéaliste, que les Idées retiennent de se reposer jamais, satisfait de lui, dans une perfection chimérique. L’endormi, c’est celui qui s’imagine que tous ses actes sont spontanément, naturellement conformes à la justice, au bon sens et à l’amitié.