Les douze millions d’orphelins du sida africains sont rarement livrés à eux-mêmes. D’après l’Unicef, 98% sont pris en charge par des proches après qu’un ou deux de leurs parents soient décédés du sida ou d’une de ses maladies opportunistes. Un soutien indispensable qui aide les enfants à conserver un équilibre familial, même si la discrimination et la stigmatisation ne sont jamais loin. Explications de Jimmy Kolker, chef du département VIH/sida au siège de l’Unicef, qu’Afrik a rencontré à Dakar lors de la Conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles (3-7 décembre).
Afrik.com : Que pouvez-vous nous dire du dépistage et de l’accès au traitement chez les orphelins du sida ?
Jimmy Kolker : Il faut absolument dépister ces enfants, et même tous les autres membres du foyer parce que le sida est une maladie qui se transmet sexuellement mais aussi de la mère à l’enfant. Malheureusement, très peu d’enfants sont testés et on doit faire des efforts pour que, quand une femme accouche, son enfant soit impérativement dépisté pendant les premiers deux mois de sa vie. Aujourd’hui, moins de 10% des enfants ayant une mère séropositive sont testés dans ce lapse de temps. Or, si on constate qu’ils sont séropositifs, on peut immédiatement commencer le traitement antirétroviral. C’est vital car les chances de vie des enfants qui commencent le traitement pendant leurs premières douze semaines de vie sont 75% plus importantes que celles des autres.
Afrik.com : Quel rôle joue la famille élargie pour les orphelins du sida ?
Jimmy Kolker : La famille africaine est très résiliente : dans la grande majorité des cas, les grands-parents, ou bien les oncles, les tantes… prennent un des orphelins. Mais ces enfants restent vulnérables parce que les familles qui les prennent en charge sont pauvres et qu’il y a parfois une discrimination et une stigmatisation envers les enfants qui ont perdu un parent à cause du sida. Par ailleurs, il faut noter que certains adolescents ne sont pas contents de se retrouver avec leur grand-mère, leur oncle… et qu’il y a des cas d’abus.
Afrik.com : Vous estimez que les enfants récupérés par leur famille ont plus de chances de s’en sortir que les autres…
Jimmy Kolker : Il y a des recherches et des études scientifiques qui disent que l’enfant qui est avec un parent ou un grand-parent a un taux de scolarisation égal à celui de ses voisins qui ne sont pas orphelins du sida. Par ailleurs, les comportements sexuels à risque sont plus élevés pour les orphelins du sida qui ne sont pas chez un parent. Donc cette question de tutelle est peut-être la plus importante pour l’égalité et l’intégration de ces enfants dans la société.
Afrik.com : Arrive-t-il que les orphelins du sida soient abandonnés par des proches qui ont peur d’attraper le sida ?
Jimmy Kolker : Il y a moins de recherches sur la peur de la maladie et ses conséquences. On n’a donc pas vraiment de chiffres et de faits pour organiser un programme spécifique mais il y a effectivement des enfants qui ont peur de la maladie, et des adultes qui en ont peur aussi. Il y a parfois une stigmatisation non scientifique, comme le fait qu’on se demande s’il n’y a pas eu un acte de sorcellerie qui a affecté la famille. Il peut arriver aussi qu’on accuse de sorcellerie la famille qui prend l’enfant.
Afrik.com : L’adoption internationale peut-elle être une alternative au rejet des orphelins ?
Jimmy Kolker : Chaque enfant a droit à une famille, et une famille assez stable, mais l’adoption internationale est une solution de dernier ressort. On estime que 98% des enfants qui ont perdu un parent du sida vivent avec un membre de leur famille. D’autres sont dans des institutions mais ils ont peut-être aussi la grande famille qui s’occupe d’eux. En fait, il y a peut-être 0,5% des orphelins qui sont vraiment sans ressources locales. Et dans ce cas, si le gouvernement est d’accord et si les lois sont bien établies (pour qu’il n’y ait pas de trafic d’enfants), l’adoption internationale est peut-être la meilleure solution.
Afrik.com : Les orphelins du sida sont-ils solidaires entre eux ?
Jimmy Kolker : Là où les enfants s’organisent, ils parlent de la solidarité qu’ils ont avec leurs copains qui sont aussi séropositifs ou qui ont perdu un parent à cause du sida. Mais ces organisations sont très rares. Cela dit, quand ces organisations d’appui aux enfants affectés par le sida existent, les organisations adultes doivent se préoccuper davantage de ces enfants et de leurs besoins particuliers. Et les organisations de personnes vivant avec le VIH doivent aussi s’occuper des besoins de ces enfants. Les communautés devraient par ailleurs regrouper les enfants qui sont dans la même situation.
Afrik.com : Quelles stratégies les orphelins utilisent-ils pour s’entraider ?
Jimmy Kolker : Cela dépend beaucoup. Dans des pays comme l’Ouganda, malgré la stigmatisation, tout le monde connaît le sida. La lutte est assez développée et les enfants ougandais peuvent s’exprimer. Il y a même des groupes d’enfants dans les écoles qui bénéficient de l’appui des groupes religieux. Mais il y a d’autres pays, je crois la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, où le sida est vraiment stigmatisé et où on nie l’existence du sida dans la communauté. Dans ce contexte, les enfants disent qu’ils ne connaissent personne qui a le sida, même si leurs parents souffrent de cette maladie. L’Unicef cherche une solution, des moyens et de bonnes idées pour introduire le concept des enfants qui s’entraident dans les communautés qui nient la maladie.
Source: Afrik.