Brésil. Nordeste. Etat du Pernambouc. Une immense station-service au milieu d’une terre brûlée, traversée par une route sans fin. Cocada et Nego ont 14 et 13 ans. Cocada a un rêve : devenir chauffeur routier. Il dort dans une cabine de camion et, la journée, il rend service et fait des petits boulots. Son père est mort assassiné, alors il s’est trouvé un père de substitution, Mineiro, un routier qui prend le temps de lui parler et de le soutenir quand la tentation de l’argent mal acquis se fait plus forte. Nego, lui, vit dans une favela, entouré d’une nombreuse fratrie. Après le travail des champs, sa mère voudrait qu’il aille à l’école pour qu’il ait une éducation, mais Nego veut partir, gagner de l’argent. Le soir, il rode à la station, fasciné par les vitrines allumées, les commerces qui vendent de tout, la nourriture abondante. Avec son copain Cocada, ils regardent le mouvement incessant des camions et des voyageurs. Tout leur parle de ce grand pays dont ils ne savent rien… Avec cette singulière maturité qu’on acquiert trop tôt dans l’adversité, ils s’interrogent sur leur identité et leur avenir. Leur seule perspective : une route vers Sao Paulo, vers un ailleurs…
Dès les premiers plans de ces enfants qui jouent au péril de leur vie sur cette route où les voitures passent dans un bourdonnement d’indifférence assourdissant, nous sommes happés, heurtés, embarqués par ce documentaire aux frontières de la fiction dont la beauté âpre ne nous lâchera plus jusqu’à la dernière seconde. Nous voilà partis dans le Nordeste, cette région pauvre du Brésil, dotée d’une terre brûlée à la végétation sèche, avec ces deux enfants, Nego et Cocada, nés où ils sont nés, là où il n’y a pas d’avenir possible, mais puisqu’ils sont nés, il faut bien supporter le quotidien en rêvant d’ailleurs, d’un avenir meilleur loin de cette terre aride sans espoir.
Jean-Pierre Duret et Andrea Santana ont eu l’intelligence d’éviter tout angélisme ou pire, tout misérabilisme, s’inspirant du meilleur de ces cinéastes pour lesquels Jean-Pierre Duret a été ingénieur du son : les Dardenne, Doillon, Varda et bien d’autres.
Les enfants sont toujours ou presque au centre du cadre qui les étouffe ou qui, au contraire, les montre au centre de ce brouhaha incessant, vertigineux, suffocant, dans cette station-service sans perspectives qui bruisse constamment. La puissance du hors champ sonore est en effet un des éléments clefs du film : klaxons, respiration bruyante d’une vache malade, mots saturés de hauts parleurs, cris de bébés ou d’hommes… bref la vie qui s’étouffe rageusement. Le son et les images s’entrechoquent : le son de la campagne électorale de Lula qui rappelle ses origines pauvres de cette région du Brésil, et les images de ceux qui y vivent encore, délaissés. Les images désespérées qui contredisent les paroles qui voudraient vendre de l’espoir.
Les deux réalisateurs sont restés six mois dans cette station-service et ses abords : ce qui donne ce résultat criant de vérité, de lucidité, d’humanité, scrutant les visages, les regards, cette lumière sublimement crue qui éclaire un court instant ceux (dé)laissés dans l’ombre de cette société inique et inégalitaire.
Ce film co-produit par Jamel Debbouze, à travers le regard de ces deux enfants, sidérants de maturité, nous montre un Brésil où règnent les inégalités flagrantes et révoltantes mais qui semblent là-bas être devenus une morne habitude, et en nous parlant de ce pays il a un caractère évidemment beaucoup plus universel, évoquant notamment le dénuement de tous les autres pays en voie de développement, la ségrégation économique du Brésil mais aussi d’ailleurs.
Nous ne pouvons que souhaiter à Cocada et Nego de réussir ce qu’ils souhaitent à la fin du film : savoir qui ils sont en partant ailleurs, en s’évadant de leur prison à ciel ouvert, de suivre ce conseil de Mineiro « Tu ne dois pas laisser la peur entacher ton rêve, tu dois être ce que tu es. »
Ce film est un coup de poing dans le cœur et un coup de cœur d’ « In the mood for cinema ».
« Puisque nous sommes nés » figurait dans la sélection Orizzonti de la 65ème Mostra de Venise et a obtenu le Bayard d’or du Meilleur Film au Festival International du Film de Namur ainsi que le prix du public du meilleur film documentaire de ce même festival.
Sortie en salles en France : le 4 février 2009