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Romain Gary : essai non transformé

Publié le 12 janvier 2009 par Savatier

Cela avait plutôt bien commencé. Sur la couverture du livre, le maquettiste avait choisi une photo de Romain Gary en uniforme d'officier de l'escadrille Lorraine, rehaussé de ses décorations, notamment le ruban vert et noir de Compagnon de la Libération qui consacrait son appartenance au club très fermé des héros de la France libre. Le visage faisait face à l'objectif ; Gary, le teint mat, le cheveu noir gominé, la fine moustache cirée surlignant ses lèvres, arborait un faux air de Django Reinhardt. Tout ce diable d'homme était là, mi-aventurier, mi-écrivain, manifestement séducteur, une cigarette presque consumée coincée entre l'index et le majeur, une chevalière ornant son annulaire. Par chance, la pose avait interdit d'escamoter le mégot, de mutiler la photo au nom du politiquement correct, comme on ne s'était pas privé de le faire pour Sartre et Malraux, au mépris de toute vérité historique. Et puis, il y avait le regard, intense, interrogateur peut-être, de celui qui n'était déjà plus Roman Kacew, pas encore Emile Ajar, mais bien Romain Gary, l'auteur dRomain Gary : essai non transformé'Education européenne, qui venait de mettre le cap sur le rêve maternel : devenir non seulement un écrivain, mais un grand écrivain.

La couverture de l'essai de Sarah Vajda, Gary & Co (Infolio, 332 pages, 23 €), mettait en confiance. Le titre de la première partie du livre inquiétait davantage : " C'est l'histoire d'un mec qui causait mal le france et pourtant par deux fois pauvre France a eu le prix Goncourt... " Pourquoi l'auteure avait-elle choisi cette étrange concession à l'air du temps, pourquoi, plus loin (p. 166), avait-elle récidivé avec cette phrase, plus inutile encore : " Ta mère à poil dans Le Monde, journal du soir pour fins lettrés " ? Les essais littéraires doivent-ils céder à ce genre de facilité, à cette pseudo-mode, mi-" coolitude ", mi-" caillera " - et qui, en outre, sonne faux - pour se vendre ? On peut souhaiter que non.

Il faut tout de suite le dire, cette première partie (soit près de 130 pages) déroutera plus d'un lecteur. Elle me semble comparable à une jungle profonde, sombre, luxuriante, si dense que toute progression se révèle pénible dès les premières minutes. On cherche Gary, on se perd dans un rare foisonnement de digressions, de citations, de références, d'allusions que chaque lecteur est supposé comprendre, de noms postés en embuscade, dont on se demande, pour certains d'entre eux, quels rapports ils entretiennent avec le récit. Pourquoi, par exemple, trouve-t-on celui de Georges Marchais ? Clown, sans doute le fut-il à sa manière, mais pas vraiment clown lyrique, on en conviendra ! Rien de tout cela ne semble " faire sens ", comme aimait à le dire Lacan. Il est évident que Sarah Vajda a lu, beaucoup lu, et que, inconsciemment ou non, elle nous le fait savoir, mais que cela nous apporte-t-il ?

Toujours à la recherche du sujet, le lecteur déniche de temps à autres un sentier étroit qui lui paraît un peu plus familier ; il s'y engouffre, plein d'espoir, mais découvre vite qu'il s'agit d'une impasse. De nouvelles digressions lui barrent la route ; il se résigne à progresser à la machette à travers elles. Pour aller plus loin, il lui faudra passer cette première partie, s'il ne perd pas patience auparavant, ou bien s'en passer, en faire le deuil.

Toutefois, il y a pire que les digressions permanentes qui empêchent de suivre un raisonnement dont on peine à déterminer la structure : ce qu'on ne peut accepter, ce sont les erreurs multiples qui émaillent le texte. L'auteure est manifestement fâchée avec la chronologie (à mois qu'il ne s'agisse d'un choix délibéré dont la motivation ne se comprendrait guère). Ainsi, p. 51, figure un extrait de Pour Sganarelle, suivi de : " Ça, c'était en 1957... " L'essai de Gary date pourtant de 1965. En admettant même que l'auteure ait voulu faire allusion au roman Les Racines du ciel (auquel l'extrait se rapporte à travers une citation de Kléber Haedens), celui-ci obtint le Goncourt en 1956, et non en 1957. " Dix ans plus tard ", poursuit Sarah Vajda en évoquant cette fois La Vie devant soi et l'on est en droit de penser logiquement en la lisant " 1967 ", alors qu'il s'agit en fait de 1975... Il fallait donc au néophyte se référer au non-dit, deviner qu'il s'agissait initialement de 1965... Pourquoi tant de complications ? Le chemin de piste n'est donc pas exempt de pièges.

Page 106, on peut lire au sujet du roman Le Grand Vestiaire : " 1948, juste après Tulipe,

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1947 et avant Les Racines du ciel, 1956. " Cependant, Tulipe fut publié en 1946... Page 120, évoque-t-on Education européenne (publié en 1945), il est écrit : " Gary [...] commet dix ans plus tard Pour Sganarelle... ". " Vingt ans plus tard " eut été plus juste, puisque cet essai, nous l'avons vu, date de 1965 (et non du " seuil des années 1970 ", comme il est ensuite écrit p. 124.) Page 129 encore, on relèvera cette perle : " Au début de l'été 1945, Camus en personne l'invite à rejoindre l'écurie Gallimard. Qui s'y refuserait ? Onze ans plus tard, 1957, en un tour de scrutin, la joie prendra racine au ciel de l'édition. " Le résultat de l'addition " 1945 + 11 " me semblerait plutôt donner " 1956 ", ce qui pourrait au passage davantage coïncider avec le Goncourt obtenu par Gary, car, en 1957, c'est à Roger Vaillant que ce prix fut attribué... Page 210, cette autre perle : " En 1969, donc, Les Clown où paraît le personnage de Jacques Rainier (son double) qu'il étoffera en 1971 - deux ans plus tard - dans Europa, prélude à Clair de Femme (1977). " A ce curieux jeu de bataille navale, voilà encore deux coups dans l'eau ! Les Clowns lyriques, nouvelle version des Couleurs du jour (1952), sortirent en librairie en 1979 et Europa en... 1972. Page 249, enfin : " A la fin de Gros câlin, Kacew fait son entrée en Gogolie. "Je" n'existe plus. "Il" est prêt. Trois ans plus tard, 1973, Pseudo [...] reclasse son personnage. " Doit-on encore préciser que Gros câlin date en réalité de 1974 et Pseudo de 1976 ? Le lecteur habitué à l'œuvre de Gary sera vite agacé de toutes ces erreurs, difficilement explicables chez une universitaire et qui jettent une suspicion légitime sur le reste du livre ; le néophyte, de son côté, sera bel et bien perdu sans la boussole d'une bibliographie digne de ce nom. Nous sommes ici très éloignés de la biographie sensible écrite par Dominique Bona, et davantage encore de celle de Myriam Anissimov (avec laquelle l'auteure semble vouloir régler quelques comptes), qui reste un monument de rigueur documentaire.

A tout cela, il convient d'ajouter les multiples occurrences de certains mots ou expressions qui semblent s'apparenter à des tics de langage (antienne, à la mamelle, exunt, passons muscade). Justement, passons.

Heureusement, on trouve dans ce livre quelques pages pertinentes, par exemple, lorsque l'auteure écrit : " Déjà en 1947, Gary avait saisi cette dominante, ce "la" majeur qui hanterait les sociétés et les consciences occidentales, ce reflux mécanique, quasi œsophagique, pylorique, liant culpabilité de l'homme blanc et arnaques sentimentales. " Et, plus loin : " Selon Gary, l'escroquerie à la bonté ne serait qu'un compost où grouillent des vers blancs qui désormais semblent les ténias de toute société occidentale : hypocrisie, mauvaise conscience, peur, surtout dureté capitaliste travestie en sympathie. " Quelques passages sur la France, l'Homme du 18 juin, Lesley Blanch, sa première femme, ou encore Jean Seberg ne manquent pas d'intérêt, de même que le parallèle suggéré entre l'œuvre de Gary et celle de John Kennedy Tool. Beaucoup plus superficielle est l'analyse proposée de la relation entretenue par Gary avec le Christ, qui aurait mérité un long et plus subtil développement.

Romain Gary : essai non transformé
Parfois, Sarah Vajda avance une idée, une interprétation qui, par son originalité, attire l'attention, par exemple lorsqu'elle écrit que les derniers mots de La Vie devant soi, " Il faut aimer ", seraient ironiques. Sans partager l'opinion de l'auteure, tout lecteur de Gary est curieux de connaître son argumentation. Malheureusement, il reste souvent frustré devant des affirmations qui ne reposent guère que sur elles-mêmes. Certaines questions sont abordées (pourquoi Gary créa-t-il Ajar ? pourquoi se suicida-t-il ?), passionnantes. Vajda donne des éléments de réponse que l'on pourra volontiers prendre en considération, mais qui ne nous apprendront guère de nouveau, faute de fil conducteur facilement identifiable.

L'impression que l'on ressent après avoir lu ce livre est celle d'une occasion manquée. Il y a, notamment dans la troisième partie, de longs passages qui démontrent que Sarah Vajda bénéficie d'un don rare, un véritable talent de plume qui sert son œuvre de romancière. Et l'on se prend à sincèrement regretter que ce talent ait été mis au service d'un essai qui, faute d'avoir été abordé de manière rigoureuse, ne nous apporte presque rien.

Illustrations : Envoi de Romain Gary sur La Promesse de l'Aube - Envoi d'Emile Ajar (de la main de Paul Pavlowitch) sur La Vie devant soi.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par isa
posté le 14 mars à 17:44
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A propos de Gary & Co, tout à fait d'accord hélas, en ajoutant que le style de Mme Vajda est à mon goût déplorable. Sans doute sommes-nous encore dans l'espoir d'une étude sur le "cas" Gary, dont l'auteur s'effacerait pour mettre en lumière l'écrivain, l'homme, l'humoriste, l'être exceptionnel. Foin de l'étalage d'une culture évoquée, repérable par certains mais sans doute pas par le vulgum. A quand ?

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