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A quand un Joseph Pulitzer du web ?

Publié le 13 janvier 2009 par Anthony Hamelle

L’un des sujets majeurs en 2009 est sans conteste l’avenir de la presse et, évidemment, le rôle de web dans cette évolution. A la lecture des premières conclusions des Etats généraux de la presse, on est en droit d’être inquiet pour la France.

Le sujet préoccupe aussi les anglo-saxons, à l’image de ce billet récent de Jeff Jarvis reprenant l’analyse de Jack Shafer dans son article How Newspapers Tried to Invent the Web. Aux causes structurelles (inadéquation de l’offre, fuite du lectorat, manque de crédibilité du discours journalistique) s’ajoutent le contexte actuel de crise économique et de baisse drastique des recettes publicitaires. 

Un poncif consiste à dire que c’est souvent dans des contextes de crise qu’émergent les opportunités d’innovations et de renouvellement des codes et des habitudes. Impossible de savoir exactement ce qui va se passer dans les prochains mois, mais il est toujours intéressant de se plonger dans l’Histoire,… juste pour voir comment faisaient les anciens !

Un génie de l’opinion et un entrepreneur

Le prix Pulitzer, récompensant les meilleurs journalistes et photographes, reporters, …, tout le monde connait (un prix pour le web a même été créé il y apeu). On connait moins le personnage. D’une incroyable modernité, les idées et les intuitions de Joseph Pulitzer constituent une source de réflexion en ces temps troublés.

Immigré hongrois débarqué aux Etats-Unis sans un dollar en poche, il va inventer, d’abord à Saint Louis puis à New York, le journalisme dit « moderne » (vous savez, celui de l’ancien monde). L’excellente biographie de Jacques Bertoin raconte la destinée de cet autodidacte, autocrate paranoïaque et maniacodépressif, mais surtout visionnaire, qui allait complètement révolutionner la manière de penser et de créer un journal.

Que retenir de ses « enseignements » ?

Tout d’abord, la qualité d’un journal repose sur la qualité de ses … journalistes et sur la manière dont ils travaillent : « des faits, des faits, des faits » répétait-il à chaque conférence de rédaction ; de l’exactitude encore et toujours (impliquant un travail de recherche et d’enquête fouillé) ; ne jamais se contenter de recopier des dépêches, croiser des sources, même subjectives, … des règles souvent oubliées aujourd’hui.

Pulitzer était le premier à dire d’ailleurs que la réussite économique des ses journaux était sa meilleure garantie pour conserver cette indépendance. Dans un contexte moribond à l’époque pour la presse, c’est lui qui va trouver un modèle économique pour la presse quotidienne. Que cela soit le Post&Dispach à Saint Louis ou le World (avec plus de mille journalistes au début du siècle au sein du World… ca laisse rêveur), tous les deux rachetés une bouchée de pain, Pulitzer va réussir à en faire des marques ultra rentables qui construiront sa fortune personnelle.

Les recettes ? Des articles de fond, rédigés par des journalistes et des auteurs talentueux qui allaient enquêter eux-mêmes (à l’image de cette femme incroyable Nelly Bly) ; des initiatives populaires locales (collectes de fonds, évènements sportifs,…) qui fédéraient la « communauté » des lecteurs du World ; des articles qui créaient l’évènement en dénonçant la corruption des milieux d’affaires américains (déjà !) ou qui racontaient la « vraie vie »pour le moins rugueuse, des citoyens américains de l’époque. Enfin et surtout, une ligne éditoriale qui a toujours cherché à s’affranchir des partis politiques au pouvoir. Tout ça pour un million de lecteurs quotidien !

Bref, du contenu, bien écrit, qui collait à l’air du temps, s’appuyant sur une indépendance et une éthique intransigeante qui correspondait à une certaine vision de l’Amérique.

Qu’aurait- il fait en 2009 sur le web ?

Difficile à dire. Une chose est certaine : il n’aurait pas renié ses principes d’indépendance et aurait fait de l’investigation une garantie pour s’assurer le soutien de ses lecteurs. A partir de là, il aurait sans doute profité à 100 % de l’outil web pour offrir du contenu et des infos exclusives, couplé à de multiples services proposés à son audience : une sorte de mix improbable entre Drudge Report, Mediapart et la Repubblica par exemple !

Lui qui s’appuyait sur ses lecteurs pour sortir des scoops (il lisait avec avidité le courrier de ses lecteurs), il ne se serait pas privé de faire appel à ses visiteurs et à des experts (blogueurs … ou pas) pour l’aider à bousculer l’establishment, croiser les sources, apporter des témoignages inédits, ...

Dernier point : l’ambition. Pulitzer voulait changer la société, rien que cela. Il estimait que l’information partagée était le meilleur moyen de contribuer à l’invention d’une nouvelle société. Il pensait que la démocratie reposait sur la vitalité de ses contre-pouvoirs. Avec son style emphatique caractéristique, il expliquait : « Notre République et sa presse graviront ensemble les sommets ou bien elles iront ensemble à leur perte. Une presse compétente, désintéressée, peut protéger cette morale collective de la vertu, sans laquelle un gouvernement populaire n’est qu’une escroquerie et une mascarade ».

Une analyse plus que jamais valable aujourd’hui. Et un sujet à suivre de près sur ce blog ;-)


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