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Salomé, fille des âges farouches

Publié le 07 janvier 2009 par Naissancenaturelle
Salomé, fille des âges farouches Lundi 5 janvier.

Nous le sentions, nous le pressentions, nous l'avions même écrit. Et notre inclinaison à spontanément employer le féminin pour parler de cet enfant ne nous laissait guère de doutes. Le verdict de l'échographiste est venue hier comme une confirmation, une simple formalité au caractère plus ou moins officiel. La technique médicale n'a fait que valider ce que l'intuition humaine nous avait déjà indiqué : c'est une fille !

Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais c'est dans l'ordre des choses, comme s'il ne pouvait en être autrement. Une sorte d'évidence, tout comme le sentiment qu'après la naissance de ce dernier enfant je pourrai dire : « Ça y est, nous sommes au complet. » Nous n'y sommes pas encore mais je sens déjà que cet instant appartiendra à la catégorie à part des moments fugitifs de plénitude où toute chose nous semble à sa juste place. Une fragile harmonie qu'il faut savoir savourer d'autant plus librement qu'elle ne dure jamais longtemps et qu'il est illusoire de vouloir la retrouver artificiellement. Un moment suspendu hors du temps qui constitue à lui seul la quintessence de tous les moments passés et à venir de l'existence, comme un fragment de soleil qui irradie et dispense lumière et chaleur dans toutes les directions, dans tous les temps de la vie.

Si les images de la première échographie m'évoquaient les planches photographiques de Nicéphore Niepce, je remonte bien plus loin dans le temps depuis hier. À la demande de Gabrielle, l'échographiste a commencé l'examen en surface pour infirmer une éventuelle hernie ombilicale. Il n'y a visiblement rien de grave, mais l'utilisation de cette sonde nous offre un point de vue inhabituel sur le bébé. Seule sa colonne vertébrale est visible, juste en dessous de la paroi utérine. Et cette chaîne de vertèbres qui s'affiche sur toute la largeur du moniteur est comme une réminiscence, un héritage des premiers temps, un rappel de notre condition animale. Je le concède, ce n'est pas la vision la plus poétique qui soit de son futur enfant. Mais après tout, aussi évolués que nous nous pensions, nous faisons bel et bien partie du règne animal. Et il n'y a aucune raison de renier cette appartenance, constitutive de notre identité au même titre que notre conscience. Pour être "sapiens sapiens", nous n'en sommes pas moins "homo".

Dans le ventre de sa mère, encore à naître, Salomé est au plus proche de nos origines primitives. Dans sa matrice universelle, elle vit sa préhistoire, jusqu'au moment où sa naissance la propulsera dans l'histoire de sa vie. En attendant, son souffle vital projette pour nous, sur les parois qui l'entourent et les écrans de l'échographiste, l'image de son organisme en développement. Comme éclairée de l'intérieur, elle nous apparaît, prête à irriguer notre cosmogonie familiale.

À mesure que la sonde dévoile d'autres parties de son corps, l'image passe par des nuances, des dégradés plus ou moins sombres. Comme si l'utérus de Gabrielle et son occupante était éclairées à la lueur vacillante d'une bougie. Gros plan sur le visage d'abord. Mais il me faut quelques secondes pour comprendre ce que je vois. Mais que sont ces formes rondes au milieu de l'écran qui s'enroulent autour d'une tache sombre ? En une fraction de seconde, tout s'éclaire; je cherchais un profil alors que Salomé nous propose son visage de face. Elle semble allongée sur le dos, la tête tournée vers nous mais légèrement rejetée en arrière. Si bien que le haut de son visage disparaît dans la pénombre. Son nez en revanche est bien visible, et la légère contre-plongée nous permet même de distinguer ses narines. Les arrondis que je ne parvenais pas à identifier l'instant d'avant sont ceux que dessinent ses deux lèvres autour de sa bouche. Cette image a quelque chose de déroutant, sans doute parce qu'elle nous offre une vision du relief de son visage alors que jusqu'ici la navigation virtuelle dans le ventre de Gabrielle à la rencontre de Salomé n'avait révélé que des images en deux dimensions.

Mais il n'est déjà plus temps de s'attarder, place aux mesures. À ce stade de développement, elles passent forcément par un affichage assez fragmenté du corps de notre enfant. Et à mesure que l'échographiste zoome sur une partie de l'image ou une autre, l'émotion aussi se fragmente. Difficile de savoir quel organe apparaît sur l'écran lorsque les formes claires et sombres se déplacent telles des cellules vues au microscope. Heureusement, l'échographiste est là pour nous aiguiller. Là c'est l'estomac, ici ce sont les reins... Il en est un, en revanche, qu'elle n'a pas besoin de nommer. Le mouvement qui lui est propre ne permet aucun doute, le cœur de notre fille bat dans sa poitrine, et il bat bien. À elle seule, elle fait mieux que les deux cœurs réunis de ses parents : 155 pulsations par minute.

Zoom arrière. Nous retrouvons une image suffisamment large pour nous permettre de comprendre la silhouette de Salomé. Il s'agit maintenant de vérifier qu'elle a bien tous ses doigts. Et il faut faire vite. Nous avons juste le temps de compter jusqu'à cinq que son bras droit, jusqu'ici replié au-dessus de sa poitrine, s'écarte déjà et disparaît dans la pénombre de l'arrière plan. Rompue aux recherches les plus ardues et n'ignorant rien des subterfuges mis en œuvre par les bébés pour ménager un peu de mystère sur leur constitution, notre échographiste trouve sans peine la seconde main. Elle aussi affiche complet. Même stratégie pour les petons que nous voyons successivement de profil puis par en dessous. Et là non plus, ni orteil manquant ni orteil superflu.

Pendant que l'examen se poursuit, je me détache doucement de cette géométrie médicale pour profiter pleinement de toutes les facettes de ce diamant en formation. Je me sens l'âme d'un explorateur, d'un découvreur de trésor enfoui. Non, ce n'est pas le bon mot. On ne découvre pas un trésor, on l'invente. La langue française fait bien les choses qui glisse un peu de magie et d'imaginaire dans la réalité. Ce trésor-là, nous nous sommes mis à deux pour l'inventer. Ce sera à elle ensuite de prendre progressivement le relais et de s'inventer sa propre vie. Mais nous n'en sommes pas encore là, et pour le moment je savoure ce plaisir simple de l'observation. L'excitation est bien présente, mais elle se double d'une sérénité que rien ne semble pouvoir ébranler. Même l'annonce du relatif petit poids de cette charmante demoiselle n'entame pas ma bonne humeur. Qu'à cela ne tienne, me dis-je, un petit gabarit est plutôt une bonne nouvelle dans l'optique d'un accouchement par voie basse.

Oui, mais pas trop petit quand même. La plupart des mensurations de Salomé sont en dessous de la moyenne. C'est son fémur qui fait finalement remonter l'estimation du poids à 470 grammes. Salomé aurait-t-elle déjà des prédispositions pour la danse, comme son illustre homonyme ? Toujours est-il que l'échographiste préconise un examen intermédiaire avant la dernière échographie, soit dans cinq semaines. Moi, je relativise tout de même. D'abord parce que la comparaison avec la deuxième échographie de nos jumeaux nous montre que ses mensurations sont supérieures à celles d'Ulysse à l'époque; ensuite parce que le compte-rendu de l'examen indique "échographie obstétricale faite à 22 s 4 j d'amenorrhée" alors que Gabrielle en est en fait aujourd'hui à 22 semaines pile. Je sais que quatre jours ce n'est pas grand chose, mais tout de même... Et puis on ne va pas commencer à vouloir faire rentrer ma petite chérie dans des cases, qui plus est avec quatre jours d'avance ! Non décidément, rien ne viendra gâcher ce beau moment de partage. Pas même la panne de voiture qui nous tombe dessus au moment où nous voulons quitter le parking de l'hôpital.

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