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Deja mort

Par Lazare
A propos de L'Oeil du Purgatoire de Jacques Spitz (L'Arbre Vengeur).
Derrière les mains coupées de Maurice Renard, derrière les saints patrons que sont Boule & Barjavel, Jacques Spitz n'est visible que sur la pointe des pieds... & encore. Connu & reconnu malgré tout, sans pour autant avoir été lu, il est de ces auteurs discrets & intelligents que les éditeurs mettent sur un joli socle marbré sans jamais en faire plus. Pourquoi? Les Mystères de Paris, sûrement. Bon, il se trouve qu'une petite maison bien avisée vient justement de rendre à la lecture un des textes les plus connus de cet olibrius surréaliste & polytechniciens qu'était Spitz: L'Oeil du Purgatoire. Tant mieux, mais pas que...

Jean Poldonski est un peintre raté (encore un!) qui exècre le monde qui l'entoure & la race qui l'habite (« L'espoir est décidément tenace aux coeurs des hommes, il donne la mesure de leur bêtise » du Schmidt pur jus...). Son entourage lui est de plus en plus insupportable, sa petite amie est une véritable cruche, personne ne comprend son génie d'autant plus qu'il est incapable de l'exprimer. Pour un artiste c'est quand même un brin dommage. Poldonski est à quelques heures du suicide lorsque la misérable trajectoire de sa vie percute celle de Dagerloff, exubérant laborantin de l'Institut Pasteur, quiABRACADABRA!va utiliser notre génie incompris comme cobaye pour une expérience positivement définitive. Les yeux de peintre de Poldonski vont peu à peu connaître quelques difficultés à rendre à leur propriétaire l'exacte réalité de l'univers. Dagerloff lui a inoculé un bacille qui va radicalement transformer (c'est peu de le dire) la perception du peintre. Popol dit nous tout: « Je vois les choses à l'endroit où elles sont, mais dans l'état où elles seront plus tard ». Ahaaa...Tu m'étonnes. Le vieux Dargerloff parle de voyage dans la causalité, il me semble que dans la physique quantique il est question d'un retour de futur dans le présent sous flashs successifs & microchronométrés, plus communément appelé: l'instinct. Ce bidule qui susurre à la mouche de se faire la malle avant qu'une main ne s'abatte sur elle. Mais, loin de le préserver de la mort, ce voyage dans la causalité précipite Poldonski vers le néant total & apocalyptique (la fin du monde, qui est un peu la spécialité de Spitz). Les gens qu'il croise dans la rue sont à moitié décharnés, espèce de cadavres en décomposition & pourtant toujours bien en vie, la devanture d'un grand magasin offre déjà les outrages d'un incendie qui n'aura lieu que dans quelques semaines, les restaurants où il s'attable ne lui servent que des plats déjà mâchés, prédigérés, une femme promène la carcasse d'un chien qui se fera écraser dix pages plus loin... tout s'accélère & le monde tel qu'il était n'est déjà plus qu'un souvenir moribond jusqu'à ce que Poldonski assiste lui-même à sa propre mort. Étrangement, ça n'est pas la fin.
Dans un très bel article, parut dans Le Matricule des Anges du mois dernier, Camille Decisier (homme? femme? comment savoir?) conclut ainsi: « L'Oeil du Purgatoire a l'audace de pousser dans ses retranchements une spéculation métaphysique brûlante, en décrochant la vue du plan temporel où restent boulonnés les quatre – ou cinq – autres sens. Spitz y poursuit également une réflexion kafkaïenne sur l'apparence & l'anormalité, avec un constat cuisant (& posthume!) du narrateur, « on n'est soi que dans ses tares » »... dans ses derniers retranchements. C'est absolument vrai & c'est bien là, selon moi, le soucis. Spitz déroule toutes les possibilités rédactionnelles que lui offre son idée. Toutes les phases de la décomposition du monde sont soigneusement, scru-pu-leu-sement vérifiées, notées, analysées, l'une après l'autre. C'est que le roman entier repose sur cet axe & Spitz n'en sort pas (pourquoi le ferait-il d'ailleurs). Roman purement descriptif qui pose de singulières questions il n'en reste pas moins un texte monochrome. 160 pages concentrées sur ce seul déroulement. Certains trouveront ça brillant. Sans doute. Le fait est que je trouve ça un peu ennuyant par moments. Ça me rappelle ces livres de SF "anthropologiques" où de nouveaux mondes, de nouvelles civilisations sont découverts & donc des centaines & des centaines de pages de descriptions d'us & de coutumes totalement loufoques, de trouvailles hallucinantes & ingénieuses, d'humanités surprenantes & quoi d'autres? Souvent rien que ça. Je vais me faire taper sur les doigts par certains collègues mais j'ai ressentis à la lecture de L'Oeil du Purgatoire un peu la même mollesse qu'avec La Manadologie de Minard, Le Monde Inverti de Priest ou encore certains passages du Tunnel de Sabato. Des textes admirables, brillants mais souvent longuets qui tournent en rond autour d'une idée astucieuse qu'ils ne parviennent pas à dépasser. Dommage.

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