Inger Christensen (1935-2009), discrète et pourtant la plus célèbre poète danoise, pressentie pour le Nobel, s’est éteinte ce janvier après une courte maladie. Mariée à un écrivain et divorcée, elle a un fils. Elle fut professeur aux Beaux-arts puis écrivain à plein temps. Rassemblant les mouvements de la nature et les réflexions sociopolitiques des années 60 dans un flux incantatoire, son poème de 300 pages « det » (« ça ») est devenu instantanément, en 1969, un classique de la poésie danoise moderne. « La Vallée des papillons » est une suite de sonnets à récurrences organisée en couronne ou hyper-sonnet : « c’est la mort qui avec ses propres yeux / te regarde par les ocelles des papillons (…) c’est la mort qui avec mes propres yeux / veut se regarder en moi ». « Alphabet » est basé sur la série mathématique de Fibonacci : 1, 2, 3, 5, 8, 13, etc. où le nombre qui suit est la somme des deux précédents : le premier verset contient un seul vers avec un mot commençant par A, le 2e verset contient deux vers avec des mots commençant par B, le 3e verset contient trois vers avec des mots commençant par C, le 4e verset contient cinq vers avec des mots en D, etc. Les versets s’amplifient, accueillant des allitérations avec la lettre concernée ou d’autres mots sans cette lettre. À la lettre N (tout nombre ? rébellion de l’auteur ? implosion du système ? big bang ?) cette montée exponentielle se désintègre en éclats chatoyants. Comme un arbre pousse ses feuilles, la poète fait croître le langage en composition musicale sur des structures mathématiques. « Je vois les nuages fins / et le soleil léger / ensemble ils esquissent / un infini parcours / comme s’ils avaient confiance / en moi ici sur terre / comme s’ils savaient que moi / je suis leur voix. » (det). Elle a réussi à fasciner ses traducteurs qui lui sont restés fidèles au long des livres (Heinz Grössel en allemand, Susanne Nied en anglais, Janine et Karl Poulsen en français). Son œuvre considérée comme exigeante dans les années 80 ne semble pas encore avoir trouvé les lecteurs qu’elle mérite. Pour Inger Christensen, la poésie est « peut-être un jeu tragique – le jeu que nous jouons avec un monde qui joue son propre jeu avec nous ». La redécouverte ou réédition de ses livres épuisés ou difficiles à trouver ferait revenir au jour une superbe poésie, créatrice et libre.
Bibliographie :
Lys, 1963
(“Lumière”), poèmes
Græs, 1963 ("Herbe"), poèmes
Evighedsmaskinen, 1964
("Machines à éternité"), roman
Azorno, 1967, roman
det, 1969 ("ça"), poème-livre
Intriganterne, 1972, théâtre
Det malede værelse, 1976 ("La
Chambre peinte”), roman sur le peintre Mantegna
Brev i april, 1979 ("Lettre en
avril”) poèmes
Den historie der skal fortælles, 1979
Alfabet, 1981, poème-livre
Del af labyrinten, 1982 (« Partie
du labyrinthe »), essais
Den store ukendte rejse, 1982, livre
pour enfants
En vinteraften i Ufa og andre spil,
1987, théâtre
Digt om døden, 1989, ("Poème sur
la mort“) poème
Mikkel og hele menagerie, 1990, livre
pour enfants
Sommerfugledalen, 1991, ("La
Vallée des papillons”) poème-livre
Samlede digte, 1998, (« Poèmes
complets”)
Hemmelighedstilstanden, 2000
("L’état de secret”), essais
Traductions en français :
Alphabet, Samuel Tastet, 1984 (belle
édition danois-français en typographie turquoise)
Lettre en avril, Arcane 17, 1985.
La Chambre peinte, Arcane 17, 1986
Lumière, Cahiers de Royaumont /
Créaphis, 1989.
Herbe, La Feugraie, 1993.
La Vallée des papillons, revue Europe
n° 810, octobre 1996.
Traduction en anglais :
it, New Directions, 2006 (traduction
de « det »)
Sitographie :
On peut entendre Inger Christensen lire en danois le début de « Alphabet », traduit
ici, sur le site Lyrikline.org
Contribution de Jean-René Lassalle
Voir aussi