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Notes sur la poésie : Daniel Oster

Par Florence Trocmé

Un des jeux les plus constants des poètes : se demander ce que « peut » la poésie. C’est la question – fortement autogratifiante – qui fait problème. Il faut savoir qu’elle est posée, qu’elle ne tient à son sens que du fait qu’elle est posée. Il faut un système, des institutions, du sens. Quant à elle, « la poésie », qu’est-elle ? Une substance ? un art ? une manière d’être ? un jeu de langage ? (p.116)

Le poète (type pohète) doit laisser entendre qu’il a des accointances avec l’Être. Et même faire en sorte que le moindre soupçon à cet égard soit considéré comme impie, criminel. (pp. 152-153)

Il est dommage que la poésie (type pohésie) n’ai pas atteint le statut d’opium du Peuple. (id.)

Dans les années cinquante, le topos pohétique dominant : « le poète solitaire et solidaire ». Temps de forte superstition littéraire. (id.)

Il est à craindre que le chant de la précarité ne soit encore qu’un couplet d’arrogance. (id.)

Ce que révèle la question : « que peut la poésie ? », à ceux qui en douteraient, c’est qu’à la poésie il faut assigner des buts, qu’elle est foncièrement utilitariste, qu’elle vise toujours autre chose, qu’elle est elle-même un moyen, qu’elle recherche indéfiniment son « efficace », etc. Comme en témoigne l’œuvre de Mallarmé. (id.)

Le pohète a besoin de son philistin. (id.)

« L’âme est un mauvais poète. » (Valéry, Cahiers, XXVI, 1943, p.765)

Le poète n’est pas celui qui, comme dit Sartre, « refuse d’utiliser le langage » mais celui qui au contraire l’utilise au maximum. Parfois avec excès. (id.)

Après la réduction blanchotienne (« personne ne parle »), la réduction à l’autre : « Je te donne ma parole. » (id.)

Le message constant, essentiel, inévitable de la poésie : « Je suis la poésie. » Dans la plupart des cas, c’est le seul. Ce message est sa fiction. (id.)

Éthique et poésie. Malherbe et Ponge, etc. Il y a un ordre du langage qui est en soi vertu. La rhétorique en soi éthique. Avant-gardisme des années soixante, foncièrement vertueux. Il est pour le bien de l’humanité. On écrit pour sauver. (id.)

La question sans doute la plus obscène : la poésie est-elle possible après Auschwitz ? (La réponse ne pouvant être que : oui, évidemment, y a qu’à lire !) (p.186)

Nausée insoutenable chaque fois que je rencontre la liaison, fût-elle sur le mode interrogatif, entre Auschwitz et la poésie. Auschwitz comme interdit définitif ou événement fondateur ? On ne peut pas aller plus loin dans le dérisoire. Qu’est-ce que « la poésie » pour qu’elle s’arroge tant d’importance ? Je ne lirai plus que Paul-Jean Toulet. (p.193)

Daniel Oster, extraits de Rangements, P.O.L., 2001

Ces morceaux mordants ont été choisis dans Rangements (P.O.L.), publiés en 2001, soit deux ans après la mort de leur auteur (né en 1939). J’ignorais tout de Daniel Oster avant de fureter dans le rayon 848 d’une bonne médiathèque où je tombais sur cestuy livre, que je feuilletai, dont je lus quelques pages sur place, et que je décidai d’acheter pour le posséder, le lire, et y revenir à l’envi. Notes, réflexions, articles composent ce livre de grande intelligence, et fragments de journal intime. Mais ce n’est pas un journal intime (l’auteur s’interroge souvent sur cette idée). Aucune datation, seulement la signalisation à l’entrée de paragraphes parfois : « Journal intime », mais rien d’intime. Journal intime d’une pensée ? Un haut livre, de ceux qui laissent des traces. La présence de la maladie renforce le désir de percer d’intelligence la réalité ; Daniel Oster l’évoque, parfois, comme une étrangère.

Contribution (choix et commentaire) de Jean-Pascal Dubost


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