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Gaza : fin de round…

Par Francois155

Tandis que, comme c’était prévisible, l’offensive israélienne dans la bande de Gaza s’éteint juste avant la prise de fonction du président Obama, et partant des informations encore peu précises que nous avons sur le déroulement exact des opérations, on peut commencer à avancer, prudemment, quelques enseignements de ces trois semaines de violence. Quitte, d’ailleurs, à être démenti plus tard voire même à revenir sur certaines suppositions formulées précédemment par l’auteur dans ces pages.

1. L’obsession légitime et vitale de la dissuasion.

Pour l’état hébreu, l’objectif stratégique, et même philosophique, de toute cette opération était le rétablissement de sa capacité de dissuasion conventionnelle : ancrer à nouveau dans les esprits l’image, écornée par l’offensive de 2006, d’invincibilité mais aussi d’extrême détermination du pays à assurer coute que coute sa survie et surtout, en l’occurrence, la sécurité de ses citoyens dans un environnement géopolitique régional hostile. Israël, pays sans profondeur stratégique et disposant d’un très faible réservoir humain, devait prouver sa volonté de ne pas accepter qu’on s’en prenne à ses faiblesses structurelles, historiques, ce que faisaient symboliquement les tirs de roquettes en provenance de Gaza. L’arrêt de ces tirs, tout comme l’affaiblissement du Hamas, n’étaient que des conséquences pratiques du retour de cette capacité de dissuasion.

La dissuasion nucléaire d’Israël (basée sur l’incertitude des doctrines d’emploi, la possession de l’outil lui-même n’étant pas officiellement déclarée) est efficace, mais elle ne peut fonctionner que face à une menace étatique potentiellement mortelle. En revanche, face à une menace asymétrique, et qui n’est pas, comme pour nous, lointaine (notre engagement en Afghanistan) ou/et intermittente (l’hypothèse, toujours prégnante, d’attentats terroristes sur notre sol), l’état hébreu se devait de montrer sa force et sa capacité à l’utiliser jusqu’au bout.

Est-ce trop s’avancer que d’annoncer dés à présent que cet objectif a été atteint ? A mon sens, non. Mais, car il y a toujours un « mais », c’est à un très grand prix et cela impose au vainqueur de relever un très grand défi, à vrai dire bien plus grand que la guerre elle-même. Cette lourde facture, en particulier extérieure, et cet immense challenge seront examinés plus tard. Mais voyons tout d’abord ce qui a fait le succès des armes israéliennes en tâchant d’en dégager les points forts.

2. Tsahal à Gaza : une conception efficace de l’assaut en zone urbaine contre un ennemi asymétrique.

2.1. Une opposition figée dans une conception simpliste de l’asymétrie.

Commençons par constater l’extrême médiocrité militaire de l’opposition armée du Hamas : le goût du martyr semblait essentiellement destiné aux rodomontades télévisuelles et, surtout, imposé cyniquement à une population civile dont on espérait le carnage. Or, à l’exception d’inévitables pertes qu’aucun observateur, qu’aucun parent, ne peut regarder sans un frisson d’horreur et de dégout, cette immolation aussi massive qu’indiscriminée de femmes et d’enfants ne s’est pas produite.

Il faut insister sur ce point, car Israël peut l’employer à son profit dans l’après-guerre : à la différence de tous les autres adversaires asymétriques qui affrontent des armées régulières, et pour autant que l’on sache, le Hamas ne s’est pour ainsi dire pas battu : à l’exception des roquettes lancées contre des objectifs civils à l’intérieur du territoire israélien, ses combattants se sont pour l’essentiel contentés de poser des pièges et de reculer devant l’ennemi en poussant devant eux leur population. Il n’est pas certain que cette « tactique » lui vaille la sympathie, une fois le tumulte des combats retombé, desdits civils, livrés en pâture à des frappes qu’on espérait ouvertement les plus meurtrières possible…

Bref, de la « guerre asymétrique », le Hamas n’a retenu que les aspects les plus rudimentaires, les tactiques les plus basiques et la vision stratégique la moins vaste. De surcroit, ses leaders n’ont pas su faire évoluer leur mouvement de celui de parti d’opposition au Fatah à celui de véritable organisation politico-militaire « révolutionnaire », c'est-à-dire disposant d’une vision globale et séduisante de leur projetsociétal comme du conflit qu’ils menaient, les promesses radieuses du premier devant permettre à la population de supporter les souffrances du second.

Contre un adversaire peu ingénieux, cette approche simpliste aurait pu, au moins, atteindre l’objectif affiché du massacre de civils et de l’urbicide (voir l’excellent article de Bénédicte Tratnjek). Mais Tsahal a habilement contourné le contournement prévisible de l’ennemi asymétrique…

2.1. L’approche israélienne ou le contournement de l’asymétrie.

Les planificateurs israéliens étaient, pour leur part, confrontés à un type d’opérations qui, d’aussi loin que remonte la sédentarisation des sociétés, flanque la migraine à tout stratège : l’assaut en zone urbaine, qui plus est dans un environnement d’une densité humaine inégalée, truffé de caches, de pièges et de tunnels, à la population à priori unanimement hostile au sein de laquelle se terre une opposition armée issue de ses rangs. Il n’y a pas de manière élégante de résoudre ce problème et, d’ordinaire, on emploie des tactiques qui ne le sont pas.

La plus courante consiste à faire le siège de la ville, à provoquer le départ du maximum de civils puis à « ramollir » les défenses au moyen de puissants feux indirects avant de diviser la cité en secteurs qui seront chacun pris d’assaut au cours d’une phase terrestre d’une brutalité (pour le défenseur comme pour l’assaillant, d’ailleurs) sans commune mesure avec ce qu’une armée peut affronter en plaine. Les Russes, de Berlin à Grozny, ont peu ou prou privilégié cette approche qui fut aussi celle, avec quelques nuances, des Marines à Falloujah.

Mais les IDF ne pouvaient se permettre un siège interminable et meurtrier, pour des raisons touchant aussi bien aux structures de l’armée israélienne (les réservistes ne peuvent être maintenus indéfiniment loin de leurs occupations civiles) qu’aux yeux d’une opinion internationale qui n’auraient pas toléré des pertes disproportionnées parmi la population gazaouite. La légitimité de la riposte israélienne, déjà tangente pour beaucoup, exigeait aussi une victoire rapide.

Comment contourner un adversaire asymétrique caché dans un environnement urbain ? Tsahal a employé trois voies complémentaires :

- Faire un usage massif, mais intelligent de sa supériorité technologique :

Cela a essentiellement consisté à s’appuyer sur des renseignements fiables, obtenus par tous les canaux disponibles, pour frapper le plus précisément possible l’appareil et les leaders adverses, massivement et en continu, en évitant autant que faire se peut les attaques indiscriminées. Surveillance tous azimuts de la zone (avant et pendant les opérations), emploi généralisé d’armes de précision, raccourcissement extrême de la boucle OODA, le tout conçu comme un moyen et non comme une fin. On est donc loin de la « technologisation », cette croyance quasi mystique de la supériorité des armements sur toute autre forme de considération et devant presque mathématiquement conduire à la victoire par l’attrition, et beaucoup plus proche d’un emploi raisonné de la supériorité – indéniable – à disposition mise au service d’un objectif plus psychologique que matériel : emporter la décision en soumettant la volonté adverse.

- Soumettre la volonté adverse plutôt que son terrain :

L’objectif affiché était le Hamas, en tant qu’organisation terroriste, et non la population gazaouite, considérée comme « otage » de ce dernier. On peut néanmoins se demander si Tsahal n’a pas intégré le terreau humain de la bande de Gaza comme un tout dans son opération : les militants et les cadres du Hamas devant être éliminés tandis que les civils non impliqués étaient soumis à l’épouvante de bombardements incessants quoique discriminants (cf. l’usage du phosphore blanc). Le refus israélien de laisser fuir les civils de la zone, outre le caractère problématique de l’opération, était donc aussi une carte dans le jeu de Tsahal : faire subir à une population complice des terroristes « l’expérience » effroyable de la guerre et des bombardements pour l’effrayer et affaiblir sa détermination. Le fait que la direction du mouvement soit divisée entre la bande de Gaza elle-même et d’autres membres bien à l’abri au Caire (et qui étaient les plus prompts, soit dit en passant, à appeler au « martyr », loin des missiles et des obus) a aussi joué un rôle dans l’effritement de la volonté de combattre des miliciens comme des cadres.

Enfin, plutôt que d’aller s’enferrer dans le champ de bataille labyrinthique de Gaza- ville, les forces terrestres se sont contentées de coups de sonde violents, mais limités dans le temps, d’une certaine manière plus proches du « hit and run » que de la conquête, type « saisir et tenir », du terrain.

Bref, les planificateurs des IDF, au lieu de penser « terrain » et « technologie », sont revenus à une conception plus traditionnelle et clausewitzienne de la stratégie israélienne : se concentrer sur la psychologie adverse, frapper l’ennemi au moral par le biais de coups puissants, bien ciblés et d’une forte intensité permanente.

- S’assurer la neutralité minimale de ses voisins :

On le sait, une guérilla puise une grande partie de sa force d’un acteur extérieur qui lui offre un sanctuaire ainsi qu’un soutien matériel et politique non négligeable. De tout ceci, le Hamas a cruellement manqué : le pouvoir Égyptien, état clé puisque frontalier, exaspéré par les liens étroits existant entre le mouvement palestinien et les Frères Musulmans, a d’emblée fait des offres de cessez-le-feu contenant des conditions très sévères pour le Hamas. Les autres états traditionnellement hostiles à Israël sont restés silencieux et attentistes, se contentant de laisser parler la rue sans apporter une aide significative aux assiégés. Privé de ce soutien externe, celui-ci ne pouvait pas espérer vaincre, mais simplement infliger des pertes significatives à son assaillant ou/et voir celui-ci commettre des massacres de très grande ampleur.

La faible compétence militaire de ses troupes tout comme le plan israélien lui ont interdit l’accès à ces leviers.

3. Le prix à payer et le défi à relever :

Il ne faut pourtant pas, malgré ce qui précède, se bercer d’illusions : la victoire militaire israélienne n’a aucun intérêt si elle ne débouche pas sur une victoire politique (voir l’excellent billet de Pascal Boniface à ce propos).

Israël a payé son opération contre le Hamas à un bien grand prix et se trouve face à un défi d’envergure ; si elle ne gère pas le premier en relevant le second avec succès, toute cette opération n’aura pas seulement été finalement inutile et meurtrière : elle aura considérablement affaibli la liberté d’action de l’état hébreu dans le futur.

3.1. Le prix de la guerre : la haine d’Israël banalisée.

Il y a déjà longtemps qu'Israël n’est plus l’héroïque petit David affrontant et défaisant tous les Goliath hostiles qui l’entoure. Il semble néanmoins que nous ayons, à l’occasion de ce conflit, franchi un cap dangereux dans la détestation de l’autre. Jamais sans doute depuis la Seconde Guerre mondiale, le « juif », en tant qu’individu obscur, comploteur et malfaisant, n’a suscité de tels phantasmes, une telle haine, et pas seulement au sein des populations qui pourraient se sentir tenus à des solidarités régionales ou/et religieuses.

Ce ressentiment auprès d’opinions publiques abreuvées d’images horrifiantes, et qui sont naturellement portées à voir le « faible » comme la victime éternelle d’un « fort » diabolique par nature, est malheureusement promis à un bel avenir et limitera inévitablement la liberté d’action d’Israël sur la scène internationale comme dans les perceptions collectives, d’autant que la nouvelle administration américaine peut, sans rompre les liens profonds existant entre les deux États, leur ôter ce caractère quasi mystique qu’on a connu dans le sillage de l’arrivée au pouvoir des néoconservateurs, pétris de valeurs religieuses globalisantes.

3.2. Le défi de la « victoire » : trouver un règlement politique au conflit.

Plus facile à dire qu’à faire ! Mais la « victoire suffisante » acquise sur le terrain (l’arrêt des tirs de roquettes, la destruction d’une bonne partie des tunnels et la volonté égypto-israélienne réaffirmée de mettre un terme à la contrebande d’armes), exclusivement militaire, ne peut se résumer à un retour pour Gaza à son statut ante bellum de zone isolée de l’Autorité Palestinienne, sans avenir, condamnée à la misère et au chômage – les destructions de la guerre en sus.

Fort de cette réussite, l’état hébreu, car le risque existe, ne devrait pas s’enfermer dans son indifférence quant au sort des Palestiniens : il doit redevenir un interlocuteur, même discret, même exigeant, mais un partenaire à qui parler. Le bon sens comme l’Histoire nous enseignent que c’est l’intérêt du vainqueur que de proposer à celui qu’il a défait des conditions honorables de règlement du conflit pour que, de toutes ces souffrances, émerge une paix meilleure.

L’action des militaires est terminée, c’est aux politiques de s’exprimer à présent : auront-ils la sagesse de saisir l’opportunité, courte et ténue, que leur offre ce succès ou, contre toute logique, se contenteront-ils de cette « victoire suffisante », qui n’est par nature que temporaire, au risque de devoir recommencer dans quelques années contre un adversaire certainement plus malin (on apprend toujours plus de ses échecs que de ses succès) et avec une liberté d’action moindre sur le plan international ?

Soyons francs, les motifs d’optimisme pour l’avenir, à savoir un règlement politique du conflit, en fait le seul qui vaille, sont faibles :

- Israël va entrer en campagne électorale, des périodes plus propices aux rodomontades de tréteau qu’au maniement du rameau d’olivier.

- Les Palestiniens, et au premier chef les autorités politiques, doivent pouvoir, malgré les immenses difficultés (certains imposées par Israël, d’autres qui leur sont directement imputables) qui sont les leurs, présenter un « front uni », un interlocuteur raisonnable pour des pourparlers de paix. Cette condition sine qua non semble malheureusement hors de portée…

- Il n’est pas du certain que l’administration Obama consente à s’impliquer trop en profondeur dans un dossier complexe lors même qu’elle a déjà beaucoup à faire pour gérer l’héritage républicain (crise économique, désengagement promis d’Irak, nouvelle stratégie afghane…).

- L’UE reste surtout un intermédiaire de bons offices, un interlocuteur motivé, mais peu convaincant du fait de ses divisions et, surtout, de sa carence en matière de puissance « dure », un défaut rédhibitoire en toute occasion, mais surtout dans ces contrées.

- Enfin, les États arabes, dont les gouvernements sont restés relativement silencieux durant le conflit, vont devoir gérer des opinions publiques chauffées à blanc, révoltées par l’apparente soumission de leurs dirigeants devant ce qu’elles ressentent comme une agression disproportionnée…


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