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L'écornifleur, de Jules Renard

Par Alain Bagnoud
Jules RenardJules Renard écrit au scalpel. Il tranche dans le gras. Pas de descriptions, pas d'explications psychologisantes, une guerre totale aux clichés. Pas un mot de trop.
C'est ce qui lui a permis, son sens de la formule, de devenir l'un des grands fournisseurs de citations de toute la francophonie. C'est notre Oscar Wilde à nous. Des citations pour la plupart tirées de son Journal, concis et bourré de formules qui font mouche comme les cartouches d'une bande de mitrailleuse.
O
n se souvient de son Poil de carotte, qui raconte son enfance. Dans l'Ecornifleur, c'est le récit d'une relation qu'il a entretenue à 23 ans avec un couple.
Il? Je sens les contre-sainte-beuviens (voir ici et ici ) dresser le doigt. « Ne confondez pas le personnage et l'auteur. » Pourtant, on peut, si on en croit le médiocre article qui lui est consacré dans
wikipédia.  qui affirme que Jules Renard a pris le sujet de ses livres dans son existence.
Dans le roman en tout cas, Henri, le héros, a réussi à s'insinuer petit à petit dans une famille bourgeoise niaise. Le mari M. Galbrun voulait lui faire écrire un volume sur l'ameublement. La femme est plus âgée que lui mais jolie. Tous deux l'ont emmené à la mer, à Barfleur, où ils ont pris logement chez un pêcheur, Alix.
Henri écrit des vers, se fait passer pour un poète, s'invente un arrière-fond de rencontre de célébrités littéraires, d'actrices, de bohème et de futur grand homme. En réalité, il pense à deux choses : savourer cette période de parasitisme avec ces êtres si niais et si bons, puis devenir l'amant de la femme, une sorte de Bovary en plus bête. Enfin, il le veut et il le craint. C'est un peu par devoir qu'il entreprend l'épouse, et il est un peu affolé quand il voit qu'elle se montre finalement prête à l'adultère. Là-dessus, la nièce arrive, qui tombe amoureuse de lui, et ça se finit par un dépucelage avant qu'Henri ne s'enfuie lâchement en faisant des promesses à tous.
C'est cinglant, plein d'humour, de vacherie et d'autodérision. On aime bien finalement tous ces personnages, ces deux bourgeois en quête de respectabilité, leur nièce, Henri l'écornifleur, c'est-à-dire le pique-assiette, qui se laisse finalement prendre à ses propres pièges maladroits et mener par ses entreprises. Tous sont un peu pathétiques, mais le livre refermé, on se dit que tout compte fait, on ne vaut pas mieux, pris comme on l'est dans la grande fraternité des imbéciles, telle en tout cas que l'épingle l'œil implacable de Renard. Citation : « Il a vécu tout ce qu'il a écrit. »

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