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Pomme perdue: l'évangile selon saint Luc

Par Fric Frac Club

Luc Sante est assez mal connu en France alors que la seule publication par les éditions Actes Sud de son livre L’effet des faits (en vo : The Factory of Facts) aurait dû lui valoir un lectorat fébrile et reconnaissant. Né en 54, cet écrivain né en Belgique (à Verviers, la ville au mille et une fontaines…) ne découvrit les States qu’au début des années 60, après que ses parents eurent décidé de s’y installer. On sait qu’il écrit régulièrement pour la New York Review of books et qu’il a été « conseiller historique » pour Martin Scorcese quand celui-ci préparait son film Gangs of New York.
Luc Sante est le Balzac (ou plutôt le Virgile…) de New York, il connaît cette ville comme sa pomme et y traque tous les vers triomphants qui l’ont troué et la ronge. On pourra s’en rendre compte avec la publication par Inculte de My Lost City, un recueil de six textes sur la ville la moins, ou la plus, américaine des Etats-Unis (textes extraits d’un recueil plus conséquent intitulé Kill All Your Darlings : Pieces, 1990-2005, paru en 2007 chez Yet / Verse Chorus Press), à défaut de pouvoir lire en français son magnifique Low-Life, Lures and Snares of Old New York, description du Lower East Side entre 1840 et 1920, véritable ménagerie humaine et enfer architecturale. Dans My Lost City, Sante se livre à ce qu’il fait de mieux : le portrait urbain, mâtiné de souvenirs personnels, irrigué par une culture protéiforme. On sent bien que c’est New York qui informe l’écriture de Sante, qui lui souffle (ou lui crache) ses métaphores. Sans être à la Grosse Pomme ce que fut Foucault à la Folie, Luc Sante tente néanmoins, à sa façon pop-culturelle, de jouer les archéologues des strates citadines, qu’elles soient de briques ou de rêves. Ainsi, quand il imagine la naissance puis l’éruption d’un colossal volcan au large de Manhattan, avant de nous entraîner le plus naturellement du monde dans de minutieuses excavations, des fouilles hallucinées, prélevant des « carottes » d’instantanés new-yorkais. Cela donne des passages d’anthologie comme celui-ci :
« Où que nous creusons, nous trouvons la vaste panoplie des activités humaines, dans cette grande métropole, enveloppée dans une fine cendre blanche, mais intacte. Nous voyons des voleurs braquer des revolvers sur le crâne des propriétaires d’épiceries, des prostituées quitter des chambres d’hôtel crasseuses en emportant le portefeuille de clients ivres, des policiers en uniforme empocher des enveloppes remplies d’argent liquide dans les vestibules d’antres de la drogue du ghetto. Nous voyons des esclaves sexuels vêtus de harnais de cuir se recroqueviller dans des donjons loués à prix d’or, de hauts dignitaires du clergé partager de la drogue avec des écoliers nus dans les cryptes des grandes églises, des cadavres enroulés dans des tapis au fond des coffres de limousines en fuite arrêtées sur des routes périphériques. Partout où nous creusons, semble-t-il, nous trouvons des transactions d’argent, de sexe, de drogue et de mort. » (Traduction Stéphane Legrand).

Luc Sante évoque également la figure du bandit John Gotti, conspue le maire Giuliani qui fit du "jaywalking" un crime : interdiction de traverser ailleurs que dans les clous ; il évoque les émeutes dans Tompkins Square Park quand les flics tapèrent sur tout ce qui respirait ; il nous offre même une petite excursion dans le New Jersey, qu’il qualifie de Belgique des Etats-Unis (!). Le tout est préfacé par Greil Marcus. Que demander de plus ? Réponse : d’autres livres de Luc Sante.

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