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Les mille maisons du rêve et de la terreur...

Par Sylvie

...d'Atiq Rahimi
Mille maisons du rêve et de la terreur
POL, 2002 - Traduit du persan (Afghanistan)
Après avoir adoré le Prix Goncourt Syngué Sabour,je continue à découvrir l'oeuvre d'Atiq Rahimi. Voici donc son deuxième roman, un très beau récit oscillant entre rêves et réalité, terreurs de la dictature afghane et contes et légendes persanes. Une merveille de poésie.

Un homme parle ; il ne sait pas s'il a les yeux fermés, s'il dort ou s'il est mort. Il entend la voix d'un enfant qui l'appelle Père. Mais pourtant, il ne se rappelle pas avoir un fils. Il se rappelle d'une altercation avec les officiers afghans, d'une interpellation...puis tout à coup, une femme apparaît. Sa mère ? Sa soeur? Ou une femme inconnue qui l'a sauvé des griffes de la police ?
L'incertitude, la frontière ténue entre la réalité d'une part et de l'autre les rêves et les cauchemars, sont prétextes à faire éclore les croyances, les légendes persanes. Ainsi, la voix de l'enfant devient celle d'un djinn ou celle des morts que l'on entend dans une tombe ou encore l'ange de la mort. Un tapis devient la métaphore de la mehmânkhana, les souvenirs de la maison familiale, du foyer. 
On entend la voix du derviche, du poète, du grand-père qui interprètent les songes, les signes du sommeil. 
Sommeil ? Délire ? Souvenirs d'outre-tombe ? Fumeries de hashish au début, le lecteur entre dans un labyrinthe ; il épouse les interrogations de l'homme. Puis, petit à petit, le brouillard se dissipe, sans pour autant nous diriger dans un chemin rectiligne.
C'est là tout l'intérêt de ce roman. Encore une fois, aucun lyrisme. L'écriture est très sobre, la poésie naît des multiples références issues des légendes et du brouillard de la conscience narrative.
On retrouve les mêmes dispositifs narratifs que dans Syngué Sabour : une voix parle dans un espace clos, une chambre, quelques personnages viennent "lui rendre visite"
Le contexte difficile (l'invasion de l'Afghanistan par les troupes russes en 1979), la terreur quotidienne sert de terreau pour l'éclosion des rêves.
La construction du roman est justement très symbolique ; Rahimi fait alterner les chapitres oniriques avec ceux qui racontent les diverses interpellations puis les différents souvenirs de famille.

" Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux . Il fait nuit et je dors. Mais pourtant je pense, comment se fait-il ?
Non, je suis réveillé, seulement mes yeux sont encore fermés. J'étais en train de dormir et dans mon rêve , un enfant a crié "Père !"
Quel enfant ? Comment le savoir? Il n'y avait que sa voix. Peut-être était-ce moi enfant, cherchant mon père. "
"Grand-père disait que, selon Dâmollah Saîd Mostafa, pendant le sommeil, l'âme s'en va ailleurs, et que si jamais tu te réveilles avant
qu'elle soit revenue dans ton corps tu te retrouves dans un cauchemar sans fin, livré à la stupeur et à l'effroi, sans voix et sans forces, et ce jusqu'au retour de l'âme"
"Non, je ne dors pas. Je suis en proie aux forces de l'Invisible. Les djinns sont venus se poser sur ma poitrine. Grand-Père disait que, selon Dâmollah Saîd Mostafa-dont l'autorité valait au moins dix mollahs-, quand il n'y a pas de Coran dans une pièce, les djinns y font leur nid, et la nuit, pendant que tu dors et que ton âme est partie se promener, ils viennent asaillir ton corps"
"Alors, j'ai juré à maman, qu'une nuit, quand tu viendrais dans mes rêves, je t'attraperais et t'empêcherais de repartir.
L'enfant m'a sorti de son rêve. Je suis une créature du songe. Un père imaginaire, un mari imaginaire...A quoi bon lutter pour revenir à la vie ?
J'abandonne Yahya à ses rêveries silencieuses, à sa ville bâtie sur un immense pont qui tourne jour et nuit ; je referme les yeux dans l'espoir de me glisser dans les rêves de quelqu'un d'autre, dans les rêves tourmentés de ma mère"
"Parcours le monde ! ....Quand l'eau stagne, elle devient malsaine. Elle transforme la terre en vase. Sois comme l'eau qui glisse de la main !"
"Tant que ton sommeil ne vaut pas l'éveil, ne dort pas !"


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