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Jour 294 : ARTHUR RUSSELL, World Of Echo (1986)

Publié le 16 janvier 2009 par Oagd
Jour 294 : ARTHUR RUSSELL, World Of Echo (1986) Pochette : Thibault Balahy Texte : Guillaume En écoute : Soon-To-Be Innocent Fun / Let's See Une certaine sérénité règne dans leur appartement new-yorkais de l'East Village, sur la 12ème rue. Arthur finit sa nuit tandis que Tom s'apprête à partir au travail. En passant devant le comptoir de la cuisine, il jette un œil attendri au mot d'Arthur laissé la veille: « Je suis sorti, passerai sûrement par le Paradise. Dors bien ». Arthur consacrera cette nouvelle journée à réenregistrer encore et encore de nouveaux essais violoncelle/voix pour son projet Sketches From World of Echo. En fin d'après-midi, il sortira peut-être arpenter la ville, walkman à la main, pour écouter ses dernières prises au casque, jusqu'à rejoindre les rives de l'Hudson. Ces nouvelles versions, c'est Tom qui en aura la primeur ce soir en rentrant. Car finalement, c'est à lui qu'il les destine, à la manière d'un journal intime. En cette année 1985, c'est un jour qui ressemble à tant d'autres dans la vie d'Arthur Russell. Lorsqu'il s'attelle seul au "Monde d'Echo", Arthur Russell a trente-trois ans et déjà plusieurs vies musicales derrière lui. On peut citer ses débuts avec Allen Ginsberg qu'il accompagne au violoncelle sur de longs mantras spirituels, ses incursions dans la musique savante aux côtés de Philip Glass ou de Laurie Anderson, ainsi que différentes tentatives de groupe pop, avec The Flying Hearts et l'ex-bassiste des Modern Lovers. Et même, de façon éclair en 76, avec les Talking Heads, qu'il quitte lorsqu'il réalise que leur leader David Byrne conspue la disco. Car pas lui. Pour fréquenter les clubs, il connaît les rouages de la musique house et composera sous différents pseudonymes (Dinosaur L, Loose Joints, Indian Ocean...) des titres extatiques restés des modèles du genre. On a tous connu les affres d'une conversation téléphonique avec écho, engluant notre propre voix, paralysant la pensée. C'est précisément de cela, dont Russell fait ici son affaire. Il liquéfie les mots, leur son et leur sens, dissout les structures rythmiques, désagrège toute appartenance à un genre musical prédéfini. À propos des compositions house de son ami, Ginsberg parle de Buddhist bubble-gum music. En un sens, Russell a sublimé l'utilisation de la chambre d'écho pour ne retenir, parmi ses compositions initiales, que la vapeur instrumentale, l'évanescence mélodique. Avec World, Russell se tient à la confluence de possibilités neuves, entre musiques populaire et savante. Pour l'oreille néophyte, ce disque se découvre comme un langage étranger, un chant de sirène volontiers saturé, malmené parfois, mais à la pureté intacte. Dans un article paru dans Melody Maker le 11 avril 1987, le journaliste prodigue à ses confrères un conseil un peu stupide : « Si vous devez interviewer Arthur Russell, pensez poisson, et si vous n'y parvenez pas, pensez au moins mouillé » (when interviewing Arthur Russell think fishy, and if you don't think fishy, think wet). Et pourtant, en visionnant le documentaire de Matt Wolf, A Wild Combination, on comprend : Arthur Russell avait une fascination pour la mer et les rivières. Aux dires de Tom, il s'était payé un bel aquarium et il lui arrivait d'approcher son matériel d'enregistrement du bac pour s'imprégner des bruissements. L'écoute attentive du disque rend cet environnement aquatique audible, voire palpable. World of Echo paraît six ans avant sa disparition. Le singulier du mot Echo intrigue. Je ne peux m'empêcher d'y voir un peu du mythe d'Echo, la nymphe des sources et des forêts qui, méprisée par Narcisse, se réfugia dans une grotte et se personnifia en voix. Arthur Russell ne fut par Narcisse. Adolescent, quand il habitait encore dans l'Iowa, il vit toute l'ingratitude du monde s'abattre sur son visage, grêlé par l'acné. Il composera en 1980 sous son alias « Loose Joints » un tube disco au titre équivoque, Is It All Over My Face ? De World Of Echo, partie « visible » de tout un iceberg musical, il existe d'innombrables cassettes d'ébauches. Sur l'une d'elles, le sublime Being It s'étire sur plus de quarante de minutes. Arthur Russell conclut ainsi l'interview du Melody Maker : « World Of Echo n'est pas une version achevée d'écho, c'est une esquisse d'écho. Je souhaite en réaliser une version complète avec des cuivres et des orchestres qui joueraient dehors dans des parcs, avec des kiosques qui réverbèreraient l'écho. Je veux aussi des claviers Casio sur des voiliers. Vous êtes déjà allé en voilier ? C'est si calme, tout ce que vous y entendez, c'est le vent et la mer ».

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