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L'Amérique au panthéon rock, part XIII

Publié le 21 janvier 2009 par Bertrand Gillet

Monstre.
D’une décennie plongée dans un chaos de fleurs et de sang. Monstre. L’Amérique envoie ses fils mourir à l’autre bout du monde et pourrait ainsi prétendre au titre. Monstre. Qui surgira un an après d’une pochette au doux parfum cartonné. Monstre. Qui a commencé par donner son nom à un groupe. Monstre. À un groupe qui l’est devenu. Monstre. Porté par la voix rugissante d’un fils de l’Allemagne, Joachim Fritz Krauledat, devenu plus tard John Kay. Monstre.  Chanson-épopée, album, légende du rock. Gravée en 1969. 32 minutes et cinquante trois secondes exactement, 7 morceaux, pas un de plus pour ce qui reste comme le meilleur album de Steppenwolf, loup des steppes, dont les crocs n’ont cessé de broyer le cou d’une Amérique enlisée dans la guerre du Vietnam. Politique ce disque l’est éminemment, témoin de son temps comme le suggère Draft Resister. Quant à Monster, ses 9 minutes ne laissent aucun répit à l’auditeur de l’époque fustigeant la corruption de l’Administration Nixon, président le plus détesté de toute l’histoire du pays, malgré la candeur baroque des premières minutes jouées au clavecin (instrument rarement utilisé par Goldy McJohn). Car la formation de John Kay use depuis les débuts d’une rhétorique noire dont s’inspirera Blue Öyster Cult. Tout de cuir vêtu, lunettes opaques étincelantes comme les prunelles du loup, John Kay est un colosse, comme ceux de Rhodes, posture inflexible, tête légèrement penchée, taille tordue imitant Morrison imitant lui-même une quelconque statue grecque. Et puis il y a cette voix, organe en forme de brasero capable d’époumoner ce qu’il faut d’invectives pour réveiller les consciences, tellement puissante qu’elle pourrait décoiffer un hipster de Harlem, un timbre à la fois abrasif et suave, car John Kay fut aussi un merveilleux chanteur de ballade comme le prouve Corina Corina. Mais en 1969, Steppenwolf lance son monstre en pâture et assoie alors son pouvoir sur les charts, occupant la 17e position pendant des semaines. On peut très simplement comprendre l’ampleur du phénomène à l’écoute de Power Play, de Mover Over, ou de From Here To There Eventually, hymnes rock à la signature rythmique quasi funky, automatiquement identifiable.  Pour autant, elle ne cède jamais place à une naïveté angélique : la musique de Steppenwolf est lourde, violente, urbaine, mêlée de sauvagerie comme si ces 7 morceaux avaient été composés dans les rizières, là où les GI tombent comme des mouches sous les rafales Viêt-Congs. Et John Kay d’interroger ses contemporains « America where are you now ? » dans le triptyque Monster/Suicide/America, question qui trouvera une réponse le 30 avril 1975 avec le départ du dernier hélicoptère américain après la chute de Saigon. Mais pour l’heure, le loup des steppes admoneste avec le feu de la voix et des guitares trempées dans les forges : « Now we are fighting a war over there/No matter who's the winner/We can't pay the cost
'/Cause there's a monster on the loose/
It's got our heads into a noose/And it just sits there watching ». Un discours engagé qui n’est pas à prendre à la légère car contrairement à d’autres formations empêtrées dans leur propre contradiction, John Kay ne fut pas plus indulgent vis-à-vis des dealers et The Pusher, composée par Mars Bonfire, frère du batteur Jerry Edmonton, est là pour en témoigner. Derrière le leader rock, sommeille une âme sans doute tourmentée par des souvenirs d’un autre âge, alors qu’il naissaient sur les cendres d’une Allemagne agonisante, d’où cette horreur de la guerre qu’il évoquera dans ses textes. Une page va se tourner et Steppenwolf se résume en trois mots : mythe, que dire de plus lorsque qu’un groupe est capable de signer autant de classiques et que l’un d’eux, en l’occurrence Born To Be Wild, deviendra l’hymne des motards et des hippies symboliques de Easy Ryder. Sauvagerie, merde, ils auront quand même inventé le heavy rock. Amérique, même conspuée cette terre encore jeune a généré un langage universel, porteur de rage et d’espoir, une forme de création en perpétuelle réinvention et qu’elle a fait sienne à jamais : le rock. 

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