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Pop, Rock et le Cinéma

Publié le 14 janvier 2009 par Stéphane Kahn

Pop entre dans la pièce en fredonnant la chanson d’un film revu quelques jours plus tôt. Rock fait encore la gueule, monte le volume de son téléviseur pourrave. Depuis quelques mois déjà, il ne reconnaît plus Pop. Ils étaient pourtant comme cul et chemise avant…
Qu’est-ce qui lui arrive à Pop ? Cette chanson débile... De la putain de variét’ ! Il écoute vraiment n’importe quoi…
Car Pop est amoureux. L’autre jour, déjà, tandis que Rock rentrait de sa soirée de nouvel an, avec The Black Angels dans les oreilles, Pop avait étrenné 2009 dans l’appart’, lové dans les bras de Folk, du soleil et de la tendresse plein la tête. Ils avaient goûté, pour entamer l’année, un conte en couleurs ponctué de chansons délicieuses, puis s’étaient endormis. En ouvrant la porte, cuit au petit matin, Rock croyait s’être trompé d’appartement. Et non, pourtant, c’était bien Pop, béat, qui était là, endormi avec Folk sur le canapé. Qu’elle fasse comme chez elle, surtout !, avait-il pensé en refermant la porte d’entrée. Oui, Rock et Folk ne s’étaient jamais vraiment supportés…
À cette heure, donc, la chanson qui trotte encore dans la tête de Pop est d’autant plus délectable qu’elle lui ouvre l’appétit. Catherine Deneuve – ou plutôt sa doublure voix – y détaille par le menu la recette du cake d’amour. L’art du cinéaste ne connaît pas la Demy mesure. Le kitsch de Peau d’âne passe mal aux yeux de son colocataire, comme une pâtisserie trop sucrée. Lui, attablé devant la pizza qu’il vient de se faire livrer, les doigts graisseux, il préfère les films de genre. Pas les contes. Non. Les films d’horreur, les films policiers, les films d’action, ceux où ça gicle, où ça hurle, où ça dépèce. Le cinéma envisagé tel un riff primaire. Pop, des fois – souvent même ! – il aime bien ça aussi quand ça dépote. Il est d’accord avec Rock d’ailleurs : Carpenter, Cronenberg, Friedkin, de Palma et Lynch sont de grands cinéastes (il est moins convaincu par Ferrara, alors que Rock, bêtement, considère qu’un type se comportant dans le civil comme un punk ne peut être qu’un génie). Mais il en a quand même marre de ces soirées où, promiscuité oblige, il doit s’enquiller les séries B médiocres. Il aimerait bien montrer à Goth, la copine de Rock, des films un peu plus subtils. Leur expliquer à tous deux que l’événement de l’automne fut pour lui la sortie en DVD de l’intégrale des films de Jacques Rozier, que Bernard Menez, Luis Rego et Pierre Richard sont de grands acteurs, que le chef-d’œuvre de Jacques Demy (pas Peau d’âne, Les Parapluies de Cherbourg) est un geste esthétique absolument radical et que c’est pour cela, très précisément, qu’on a tout autant le droit de le détester que de le vénérer. Et que, tout ça, c’est de l’Art. Et Les Parapluies, notre 2001 à nous, petits frenchies… Mais, bon, ça ne sert à rien : Rock est de ceux qui considèrent que la langue française ne sied pas à la musique qu’ils aiment et qu’en matière de cinoche, les films d’ici sont, je cite, "tout pourris".
Oui, Rock n’écoute que des groupes anglo-saxons et ne regarde pratiquement que des films américains. Des grosses machines souvent. Depuis qu’il a découvert Tsui Hark, les mangas, Johnny To et John Woo, il décille parfois ses œillères vers l’Asie, mais ignore que King Hu, Chang Cheh et Masaki Kobayashi sont à ces cinéastes contemporains ce que The Clash fut aux Libertines.
Rock aime bien les séries aussi. Il en regarde pas mal. Mais il déteste Lost et s’ennuie devant Six Feet Under. Trop conceptuel. Trop psychologique. Il se targue avec justesse d’une exigence extrême en matière musicale, mais reste, en matière de cinéma, comme un spectateur venant tout juste d’apprendre à parler. B-A-BA. Sa connaissance des cinématographies étrangères est aussi restreinte que le nombre d’accords qu’il sait frapper sur sa guitare. B-A-BA, One, Two, Three ! E-A-D, Mi, La, Ré. Pop a renoncé à le convaincre. Il s’est rappelé, il y a peu, que le rock avait été la première forme musicale explicitement commerciale à viser les teenagers de la société de consommation. Pas étonnant finalement que le cinéphage que se targue d’être son colocataire en demeure à l’adolescence du spectateur malgré sa trentaine bien tassée. Pas surprenant qu’il se tourne systématiquement vers les succès avérés, vers un type de cinéma rimant avec loisir de masse, voire vers des films décrétés "cultes" avant même leur exploitation. Pop ne cherche même plus à lui expliquer qu’aller voir tous ces films-là dans les multiplexes où il est encarté, c’est tout comme acheter ses CD chez Carrefour, avec le choix limité que l’enseigne implique. De toute façon, Rock répète comme un obéissant perroquet que la Nouvelle vague a englouti le cinéma français dans la médiocrité et que l’on s’en contrefiche des problèmes existentiels des trentenaires dépressifs cloîtrés dans leurs chambres de bonnes. Pop, quand il l’entend tenir ce genre de discours rabâchés depuis trop longtemps par ceux qui ne vont même pas voir les films qu’ils incriminent, a bien envie de troquer la délicatesse de Dear Prudence contre la furie de Helter Skelter
Non, respirer un coup, se calmer…
Pas rancunier, Rock lui tend mollement une part de pizza.
Elle est froide sans doute. Et puis Pop n’a plus vraiment faim. En poussant la porte de sa chambre, pourtant, il se serait bien vu proposer à Rock d’interrompre son film pétaradant pour qu’ils regardent ensemble quelque chose. Il aurait même pu faire un effort, prendre le film qu’il visionnait en cours. Comme avant. Mais les mots amis ne franchissent pas ses lèvres. Il rechigne à se poser sur le canapé. Il a plutôt envie de regarder, en solo, un DVD sur son portable.
Folk avait raison : il serait temps que Rock commence à se chercher un nouveau colocataire...


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