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Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique

Publié le 09 décembre 2008 par Rl1948

   Parce que le titre le plus "noble" pour un artiste égyptien était celui de sculpteur, désigné d’ailleurs dans la langue de l’époque par la périphrase : Celui qui fait vivre; parce que les statues étaient appelées Images vivantes, il n’est nullement malaisé de comprendre que cette statuaire, qu’elle soit royale ou privée, faisait l’objet d’un certain nombre de rites dont celui de l’ "Ouverture de la bouche" n’était pas le moindre, qui permettait au défunt de recouvrer un des sens essentiels de sa personnalité : la parole.


   Loin d’être destinées à devenir l’objet de regards indiscrets - nous sommes finalement, nous, visiteurs de musées, des "voyeurs" en la matière -, les statues de particuliers proviennent majoritairement des tombes, mastabas et hypogées qu’à toutes les époques, nobles et courtisans, hauts dignitaires du royaume ou fonctionnaires zélés, parfois pensionnés par le souverain, se firent construire (ou creuser). Et ce, donc, par pur privilège régalien.


   Des tombes, et plus spécifiquement encore, nous l’avons vu de conserve, ami lecteur, en visitant les deux ensembles reconstitués de manière très différente dans cette salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, de leur chapelle funéraire.


   En effet, qu’elles soient placées dans la partie réservée au culte, accessible donc aux vivants, ou enfermées dans le "serdab", cette pièce aveugle que seule une fente soupirail aménagée dans un des murs reliait à la chapelle proprement dite, ces statues, comme l’expliquent déjà les textes de l’Ancien Empire, ont une signification particulière : loin d’être des corps de substitution à disposition du défunt, mais faisant néanmoins partie intégrante de son mobilier funéraire, elles l’identifient en indiquant et son nom et ses titres. C’est en effet l’appellation, en Egypte antique qui, non seulement déterminait l’être, mais aussi se devait de pérenniser son souvenir.


   Les statues sont dès lors le support d’une identité basée sur la réunion des différents éléments constitutifs du défunt. Le terme twt, en égyptien, qui signifie donc image (ce twt que nous retrouvons dans Toutankhamon = Image vivante d’Amon), tire son origine étymologique du verbe "être identique", mais aussi "rassembler".


   On retrouve donc en elles tous les éléments qui font qu’elles sont identiques à leur modèle, pas physiquement bien entendu, mais eu égard à ce qui constitue leur nature : réunion du ka (le double, la force vitale), du ba (l’âme) et du khat (le corps); mais aussi sexe, patronyme et titres divers ...


   C’est la raison pour laquelle une statue anonyme ne représentait rien d’autre que la matière dans laquelle elle avait été réalisée. L’inscription primait; et si, d’aventure, elle avait, pour une raison (idéologique, souvent) ou une autre, été martelée, donc effacée de la mémoire des hommes, la statue désormais sans personnalité propre pouvait être réutilisée au profit de quiconque y ferait alors graver son nom.


   Mais dans les tombes, j’aime à le rappeler, la statue avait surtout pour fonction première d’accueillir les offrandes, essentiellement alimentaires, indispensables à la survie du défunt dans l’au-delà, qu’apportaient régulièrement prêtres, amis et membres de sa famille.


   Avec le temps, avec l’évolution des rites funéraires, les inscriptions, très restreintes au début de l’Ancien Empire, prendront de l’ampleur et, de bas-reliefs qu’elles étaient aux toutes premières époques, deviendront très vite - dès la IVème dynastie déjà - de vrais textes avec formules d’offrandes, gravés en creux et parfois rehaussés de peinture.


   Disposés en colonnes verticales et/ou en lignes horizontales, ces textes combleront très souvent toutes les parties libres devant et autour du ou des personnages sculptés : il y en aura sur le socle, mais aussi à l’avant et sur les côtés du siège, s’ils sont en position assise.


   A l’Ancien Empire, et pour une raison encore inexpliquée, l’importante surface de l’arrière du siège ou du pilier dorsal, s’il y en a un, est restée anépigraphe, à tout le moins dans la statuaire privée. En revanche, au Nouvel Empire, comme vous le constaterez mardi prochain, cette partie dorsale des statues de particuliers recevra elle aussi force signes hiéroglyphiques.


  C'est donc un exemple de cette statuaire du Nouvel Empire que je vous invite à découvrir avec moi aujourd'hui, ami lecteur, en nous arrêtant un instant devant cette vitrine 4 censée représenter la niche au fond de cette chapelle funéraire aux parois de laquelle nous avons admiré ensemble, mardi dernier, une série de fragments peints consacrés aux travaux agricoles.


   Ounsou et Imenhetep. Un scribe comptable des greniers du temple d’Amon, à Thèbes, à la XVIIIème dynastie, et son épouse, immortalisés grâce à cette statue-groupe en grès doré de 78 centimètres de hauteur, 45 de large et 43 de profondeur.

 

Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique


   Tout de suite, et comparativement à d’autres figurations de ce genre que vous avez déjà peut-être eu l’occasion d’admirer, vous constaterez qu’assis côte à côte sur une banquette commune à haut dossier vertical montant pratiquement jusqu’au sommet de leur tête, l’homme et la femme sont représentés à la même échelle, et dans une parfaite symétrie : existe donc ici totale conformité entre ce que nous voyons et la réalité biologique.


   Ce qui ne fut pas toujours le cas dans la statuaire égyptienne, notamment à l’Ancien Empire où, souvent, l’épouse figurait dans une taille nettement inférieure à celle de son époux (pour d’évidentes raisons "hiérarchiques", d’application, par ailleurs, dans bon nombre d’autres civilisations antiques).


   Fortement inspirée de la statuaire royale qui nous propose Pharaon soit accompagné de la reine en titre, soit de la reine-mère, l’iconographie générale de cette dyade se réfère au modèle classique du couple assis, l’homme à la droite de son épouse, tous deux mutuellement enlacés.

Je n’aurai pas l’inconvenance d’ajouter, à cause de la distance qui les sépare, amoureusement enlacés ...


 

Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique
  

   Cette "intimité" soulignée par le geste des bras qui les unit - son bras à elle, le droit, passant sur celui de son époux -, et bien visible pour nous qui les regardons de face, a été accentuée par l’artiste qui a poussé le détail jusqu’à tailler les doigts posés sur la partie supérieure du bras du conjoint : ici, par exemple, ceux d’Imenhetep sur le bras droit d’Ounsou.


   Les égyptologues ont longtemps pensé que ces couples de particuliers ainsi enlacés constituaient une nouveauté de l’art du Nouvel Empire; de l’art, mais aussi de l’évolution des mentalités car, précédemment, seule une femme s’autorisait, parfois, ce geste d’affection.

   Or, il semblerait qu’il faille revoir cette théorie dans la mesure où les fouilles entreprises par l’IFAO (Institut français d’archéologie orientale) à partir de 1984 dans la nécropole de Balat ont mis au jour un groupe semblable à celui d’Ounsou et de son épouse datant de la VIème dynastie.
A l’Ancien Empire, donc.

  
   Encore faudrait-il en retrouver d’autres pour confirmer ou infirmer cette thèse qui ne demande qu’à être démontrée ...

   Représentés tous deux dans une attitude traditionnelle - le bras restant libre posé sur le genou -, ils concrétisent l’image type du fonctionnaire de haut niveau dans la société de son époque, assis aux côtés de celle qui l’accompagne dans la vie.

 
   Le visage d’Ounsou est paré d’une perruque évasée,

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s’arrêtant aux épaules, mi-longue, que ne sépare aucune raie médiane, et retombant sur les épaules en grosses mèches longues parallèles et unies, délimitées par de profonds sillons, sans que soit évoquée la moindre boucle.


   Travail relativement fruste dans son modelé, ce type de perruque que les égyptologues appellent "en poche", n’est pourtant pas l’apanage des hommes puisqu’il existe, ici, au Musée du Louvre, des coiffures de ce genre sur l’une ou l’autre représentation féminine.


   Il est très probable que si le ciseau de l’artiste avait entièrement dégagé la silhouette d’Ounsou du bloc de pierre avec lequel elle fait corps, vous auriez pu admirer l’arrière campaniforme de cette coiffure.


   De face, descendant relativement bas sur le front, l’ensemble des cheveux est rejeté derrière les oreilles, sensiblement décollées.


   Petite remarque, au passage : les perruques égyptiennes étaient réalisées soit avec des cheveux véritables, soit en lin tressé.


   Dernier détail capillaire le concernant, Ounsou arbore une courte barbe semblable à celle portée de leur vivant par les dignitaires.


  

Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique
  
   Quant à Imenhetep, elle est coiffée d’une lourde et longue perruque tripartite à tresses égales dont les retombées, à l’avant, atteignent la poitrine, encadrant complètement un visage qui nous apparaît ainsi particulièrement rond.
   Mais quelle que soit la forme de ces deux faciès, quel que soit le type de perruque de chacun de ces deux personnages, l’artiste a remarquablement traduit dans la pierre la même expression de douceur, de sérénité. Leur bouche semble d’ailleurs esquisser le même très léger sourire ... 
   Et ce ne sont certes pas les quelques parties abîmées - lobes d'oreille et narines, pour Ounsou, entre autres -, qui  actuellement hypothéqueraient en quoi que ce soit l'impression de sérénité qui se dégage de cet ensemble.


Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique

   La symétrie de leur vêtement se doit d’être également notée.
Salle 4 - vitrine 4 : la dyade d'ounsou - 1. approche esthÉtique

   En effet, de prime abord, ils semblent tous deux porter une longue robe moulante
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s’arrêtant au-dessus des chevilles. En fait, et en examinant ce couple de plus près, vous remarquerez sans difficulté que, si c’est bien le cas pour sa compagne, il n’en est rien pour Ounsou : ce dernier est figuré torse nu; et seul un mince liseré sous le nombril d’où sort une boucle nous fait comprendre qu’il porte un pagne long maintenu par une ceinture nouée.


   L’apparence fort moulante du tissu de la robe d’Imenhetep suggère un corps relativement mince, excellemment proportionné, qui tendrait à prouver que l’artiste aurait volontairement visé à quelque peu personnaliser l’attitude relativement figée que la position frontale entraîne automatiquement.


   Symétriques également leur attitude, je l’ai déjà signalé, mais aussi le traitement des deux corps - ventre plat, étranglement affirmé de la taille -; et leur position : assis l’un à côté de l’autre sur un siège commun, sans toutefois être accolés, genoux serrés et jambes obligatoirement parallèles, cause de l’étroitesse du vêtement, pieds assez massifs posés à plat sur le socle, exactement au même niveau, avec le même écartement et le gros orteil sensiblement détaché des autres doigts de pied.


   Symétrique enfin le manque de parure : absence de bracelets, de collier chez Imenhetep, mais aussi chez Ounsou. Si je vous semble insister sur ce petit détail, pour ce qui le concerne, lui plus spécifiquement, c’est simplement parce que, très souvent, ces importants fonctionnaires du royaume aimaient à montrer qu’ils étaient "favoris" du souverain et que, pour les services rendus, ils avaient reçu de ses mains propres, le large collier "Ousekh" fait de plusieurs rangs de perles multicolores : "l’or de la récompense", précisent les textes.


   Comme la majorité des statues égyptiennes, ce groupe conjugal privé est non signé. Il existe toutefois, au Musée du Caire, une sculpture semblable représentant Sennefer, maire de Thèbes, assis avec son épouse dont, fait rarissime, le nom des deux artistes qui l’ont réalisée est mentionné dans une colonne verticale gravée sur le côté gauche du siège (JE 36574  -  CG 42126) .


   Assez fruste en définitive, le siège précisément sur lequel sont installés Ounsou et Imenhetep est formé d’une large banquette à dosseret rectangulaire, aux coins supérieurs arrondis, assez haut puisqu’il monte jusqu’au niveau de leur tête à chacun. Ce qui me semble tout à fait logique dans la mesure où, comme j’ai eu l’occasion de le souligner ci-dessus, les corps de ce couple n’ont pas été détachés du bloc de grès dans lequel le sculpteur les a taillés.


   Ce type de siège n’est en outre évidemment pas le seul connu dans le corpus de la statuaire égyptienne : de nombreuses variantes existent qui proposent ou non un dossier complet, ou avec parfois un simple pilier vertical au niveau de la colonne vertébrale (que les égyptologues appellent "pilier dorsal"); avec ou sans coussin sur le siège proprement dit; de forme ou non cubique; destiné pour une seule ou plusieurs personnes; recouvert ou non de hiéroglyphes ...


   Parfois aussi, dans un groupe privé semblable à celui de cette vitrine, a-t-il été demandé à l’artiste d’adjoindre la figure d’un ou des enfants du couple.


   Enfin, il est assez symptomatique aussi de se rendre compte que dans ce type de sculpture, les personnages sont quasi toujours représentés dans l’état privilégié d’une relative jeunesse.

 

(Barbotin : 2007, passim; Berlandini : 1986, 3-11; Delange : 1987, passim; Vallogia : 1989, 271-82; Vandersleyen : 1973, 13-25; Ziegler : 1997, passim)
   N’étant pas Parisien, ne résidant pas en région parisienne, et n’ayant dès lors nullement cette intéressante opportunité d’effectuer autant de visites au Louvre que je le désirerais, je ne dispose aucunement d’un fonds iconographique suffisant pour être à même d’accompagner mes propos, ici sur mon blog, article après article.


   C’est la raison pour laquelle je voudrais profiter de celui d’aujourd’hui pour rappeler combien je suis redevable aux uns et aux autres sur le Net, de l’excellence de la documentation mise à disposition. Notamment, à tout seigneur tout honneur, le site propre du Musée du Louvre et sa base de données "Atlas"; également le site "Insecula", mais aussi ceux de quelques particuliers, férus d’égyptologie, qui m’ont gentiment autorisé à puiser dans leur album photographique.


   Mardi prochain, ami lecteur, nous terminerons la visite de la chapelle d’Ounsou avec toujours cette vitrine 4 dans laquelle est exposée la statue de son couple, mais en plébiscitant une approche philologique cette fois, c’est-à-dire en mettant plus particulièrement l’accent sur les inscriptions hiéroglyphiques que le lapicide y a gravées.


   D’emblée, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’avec les seuls documents proposés par les sites brièvement indiqués ci-dessus, je n’eusse pu vous proposer une analyse générale de ces inscriptions dans la mesure où quand j’ai pris note, voici quelques années déjà, des antiquités de cette salle, j’ai complètement omis d’en recopier les textes.


   Aussi, et c’est à cela que je veux en arriver, je tiens à compléter dès à présent la liste de mes précédents remerciements en y ajoutant une mention toute particulière à la conceptrice du blog "Louvreboîte" (http://louvreboite.over-blog.fr/ - site que je vous invite vivement à parcourir afin d’y découvrir, avec humour, les "coulisses" du musée qu’il n’est jamais donné, à nous simples touristes, d’aborder.) En effet, suite à une requête de gros plans photographiques des côtés et de l’arrière du monument qu’à tout hasard je lui avais adressée, cette dame a aimablement et judicieusement répondu à mon attente.


   Que l’élégance de son geste trouve ici, par ces quelques mots, toute l’expression de ma profonde gratitude : sans les clichés qu’avec une déconcertante célérité elle m’a fait parvenir, bien des traductions que vous découvrirez la semaine prochaine n’eussent pu voir le jour.


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