Il arrive que certains mots, à cause de l’usage particulier qu’on en fait, se mettent à signifier le contraire de ce qu’ils laissent entendre. C’est le cas de l’actualité. Rien ne laisse mieux croire que nous nous intéressons au monde en prenant de ses nouvelles, que nous assistons à l’histoire en train de se faire en la contemplant derrière nos écrans. Chacun n’est-il pas au courant immédiatement de l’évènement ? Qui peut être plus proche que celui qui assiste à tout simultanément ?
Qui ne perçoit pourtant l’illusion de cette prétendue participation ? L’évènement, transitant par l’information, fait un détour. Il semble être là, tout devant, à l’instant où je l’entends, mais la vérité est qu’il est ailleurs ; non pas juste à côté de moi, mais fort loin, en des lieux où le plus souvent, à vrai dire, je ne m’aventurerais pas. Le plus frappant est cette distorsion entre le sentiment d’y être et le fait d’y échapper. On croit saisir l’instant, alors que l’on consomme un signe, quelque chose qui justement remplace l’évènement.
C’est au point que Baudrillard se demande : de quoi est faite l’émotion qui étreint devant les signes ? Est-ce celle de l’engagement ou de son contraire ? Est-ce notre investissement qui fait trembler ou notre sentiment de sécurité qui rassérène ? Le soupçon naît face à la question de savoir si ce sont les délices du présent ou ceux du fantasme qui sont goûtés.
Il y a donc une manière de se tenir informé qui nie le réel au lieu de s’y engager, de vivre à l’abri du monde quoiqu’on prétende s’y intéresser. L’actualité est un obscur moyen de se tenir à distance des faits. Et plus elle est dramatisée comme présente, plus elle renforce au fond l’indifférence. Il faudrait apprendre à ne pas se contenter de ce qu’on apprend, soit : arrêter de croire ou de faire croire que l’actualité supprime les distances entre les individus et les évènements.