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Sur les traces du Phoenix : tel Indiana Jones !

Publié le 17 août 2007 par Eric Viennot

Indi01 C’était en février 2006. Je venais d’arriver en Ecosse pour préparer le dernier tournage d’In Memoriam 2 qui devait avoir lieu quelques mois plus tard en mai. J’avais laissé avec regret mon fils affronter seul le dixième colosse de Shadow qui venait de sortir. Généralement les repérages sont loin d’être des moments désagréables. Là, j’avoue que je n’avais pas trop l’humeur joyeuse à l’idée de partir seul en février au fin fond de l’Ecosse pour une tournée des cimetières … Quand on se retrouve, les os glacés, dans les rues sombres et désertes d’Edimbourg, alors qu’il n’est que 17 heures et qu'il fait déjà nuit, en sachant qu’il va falloir dès le lendemain remonter encore plus au nord, on a beau avoir une pêche d’enfer, se dire qu’on a la chance de faire un métier que beaucoup de gens nous envient, on ressent un léger coup de blues en rentrant le soir dans sa minuscule chambre d’hôtel qui sent légèrement le moisi. Pour peu qu’on ait eu la mauvaise idée de goûter à la panse de brebis farcie (n’est-ce pas Gégé ?), le séjour risque de débuter sous les pires auspices…

Les moments de repérage sont pour moi essentiels dans le processus de conception d’un jeu comme In Memoriam. Ils permettent évidemment de préparer la mise en scène des films. Ils interviennent également dans l’écriture du scénario et, dans certains cas, du gameplay lui-même. De nombreuses idées d’énigmes me sont venues sur les lieux où devait se passer l’action. Pour créer un jeu très réaliste cela me parait naturel, comme il peut sembler naturel à un écrivain de se rendre sur les lieux de son futur roman pour ressentir l’atmosphère des lieux, noter ces petits détails qui rendront telle ou telle scène plus plausible. Avant de partir en repérage en Ecosse j’avais la trame principale de l’histoire, en l’occurrence la fin du jeu. Mais il restait beaucoup d’éléments à établir : le parcours du Phoenix, le lieu exact des meurtres, le profil précis de ses dernières victimes.
Je cherchais notamment des lieux templiers peu connus, à l’écart des circuits touristiques du Da Vinci code, dans lesquels nous pourrions tourner « tranquillement » nos scènes de meurtres.
Marc Leveder était chargé des recherches historiques d’In Memoriam 2. Il avait découvert dans un livre datant de 1989 la photographie d’un lieu isolé qui semblait correspondre à ce que je cherchais.

Kilneuair
Il avait joint à la photo ce petit commentaire ainsi qu’une carte ancienne.
Carte
" Il s'agit de l'église de Kilneuair, sur le Loch Awe (tu sais, le "lac de la terreur" où il y a déjà un beau château en ruine), dans le fameux comté d'Argyll (Kilmartin, Kilmory...). Il s'agit de ruines datant du XIIIe siècle qui vont bien avec l'ambiance IM2, je trouve, et surtout, tout à côté, on y trouve des pierres tombales templières (toutes simples comme l'exigeait l'Ordre, ornées simplement de la croix templière ou d'une épée gravée)."
Pour retrouver l’église, j’avais donc une photographie datant d’une vingtaine d’années ainsi qu’une carte datant, elle, de Robert de Bruce. Pas simple ! D’autant que sur les cartes récentes, le nom de Kilneuair n’apparait nulle part. Je décidai d’orienter mes recherches autour d’un village plus au nord portant le nom de Kilninver. Après plusieurs heures à explorer en vain les alentours de Kilninver, je téléphonai à Marc. Il me confirma que je faisais fausse route et que le cimetière se trouvait bien autour du Loch Awe. Je décidai de m’y rendre le lendemain et de mettre à profit le reste de la journée à explorer Kilmartin et sa région où je projetais de tourner certaines scènes.
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Pour m’aider dans mes recherches, Marc m’envoya par mail un extrait du livre que je lus et relus plusieurs fois, de retour à l’hôtel d’Oban où j’avais établi mon quartier général.
" Dans les environs du Loch Awe, nous n'avons rien trouvé de plus probant qu'à Kilmartin - des vestiges dont on pourrait soutenir plausiblement qu'ils appartenaient au Temple, mais sans pouvoir le démontrer. Cependant, sur une colline au sud-est du loch, devant l'église en ruine de Kilneuair, du XIIIe siècle, nous avons fait une curieuse découverte. Dans l'herbe, il y avait des dalles similaires aux pierres les plus récentes de Kilmartin, celles qui étaient enjolivées d'ornements compliqués. Sur l'une d'elles, le dessin était indubitablement surmonté d'une croix templière. Mais cette croix ne faisait pas partie de l'emblème original, sculpté avec un soin méticuleux. C'était un graffiti, gravé maladroitement dans la pierre à une date plus tardive, peut-être au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Si elle pouvait difficilement passer pour une preuve de la présence des templiers dans la région, elle indiquait cependant qu'ici, à une époque ultérieure, quelqu'un avait éprouvé de l'intérêt pour eux."
Le lendemain matin, je devais repérer d’autres lieux avant de descendre la rive Est du Loch de la terreur.
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Il était déjà 14 heures quand j’arrivai près du point noir indiqué sur la carte à partir duquel j’avais décidé de concentrer mes recherches.
Mais à l’échelle réelle, le point faisait plusieurs kilomètres de circonférence ! Pas d’habitant en vue. Aucun promeneur. Ni chasseur ni pêcheur. Personne qui aurait pu me venir en aide. Si vous aimez la solitude, partez en février en Ecosse ! Je descendis et remontai plusieurs fois la rive Sud-Est du Loch en roulant à faible allure. Pas la moindre chapelle en vue. La découverte de ruines que je n’avais pas vues lors de mes premiers passages, me laissa croire un instant que j’avais trouvé la chapelle.  Je m’approchai à pieds au bord du loch mais il s’agissait des ruines d’un château.
Il ne restait qu’une seule possibilité : que la chapelle soit derrière ce bois sombre que j’avais traversé plusieurs fois. Je me lançai à pieds à l’assaut du bois, bien décidé à voir ce qu’il cachait. Mais je dus vite rebrousser chemin. Le bois était trop marécageux.
Le jour commençait à décliner. Alors que je désespérais de ne jamais retrouver la chapelle, j'aperçus un peu plus loin un chemin de terre qui semblait rejoindre les hauteurs du Loch au dessus du bois sombre. Je m’engageai prudemment dans le chemin boueux. Plusieurs fois, je faillis m’embourber. Si cela m’était arrivé j’aurais été mal barré. Mon téléphone ne captait plus aucun réseau. Après avoir roulé une dizaine de minutes j’aperçus enfin un bâtiment en ruine. Du chemin, je ne pouvais pas être certain qu’il s’agissait de la chapelle.
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Pourtant, en approchant, d'étroites fenêtres gothiques donnaient à la silhouette de l’ensemble un aspect religieux.
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Plus j'approchais, plus le lieu me semblait ressembler à celui de la photo. Aucune indication ne permettait de repérer l'endroit. Aucun panneau ne confirmait qu’il s’agissait d’un cimetière templier. Mais les motifs (croix templières, chevaliers avec épée) découverts un peu plus tard sur les tombes recouvertes de mousse ne laissaient plus de doute possible. J’avais retrouvé la chapelle de la photo !
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Je me suis même amusé à la photographier en noir et blanc du même endroit.
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Après avoir pris de nombreuses photos, je suis parti avant que la nuit ne tombe. Sur la route du retour je me suis dit que ce serait dommage de tourner la nuit dans ce lieu magnifique. Mieux encore, il fallait absolument que mon personnage principal vive à son tour l'expérience que j'avais vécue à partir de cette photo. Pour cela, j’ai demandé à Pierre-Guillaume Baret, l'un des deux designers graphiques du jeu, de redessiner, à partir de mes photos, la silhouette de la chapelle.
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Il a intégré dans la page une indication qui permettrait aux joueurs de localiser l'endroit.C’est ainsi que Jack Lorski se mit en quête, trois mois plus tard, de retrouver le lieu indiqué sur l’une des pages du carnet d’Adrian, un personnage central de l’intrigue.
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En rentrant quelques jours plus tard en France, j’ai retrouvé mon fils qui venait de terminer Shadow of the Colossus. Il était très fier d’avoir réussi à anéantir le dernier colosse qui lui avait donné pas mal de fil à retordre. Quand je lui ai raconté ma découverte en lui montrant, preuves à l’appui, les photos des tombes aux motifs templiers, découverts sous la mousse, il n’en croyait pas ses yeux. Je n’avais pas pu l’aider à affronter les sept derniers colosses mais j’avais réussi à me faire passer, pendant quelques instants, pour un véritable Indiana Jones !

PS : pour info les auteurs du livre cité, Baigent et Leight, sont les auteurs de l’Enigme sacrée dont s’est largement inspiré Dan Brown pour écrire son Da Vinci code.


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