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L’Europe saura-t-elle tirer les leçons de la tempête des « subprimes » ?

Publié le 17 août 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

DECRYPTAGE RELATIO par Daniel RIOT : Subprimes, crédit crunch, titrisation, systémique… Mots du mois d’août. Pour des maux réels qu’il convient de ne pas dramatiser à outrance. Il n’est pas sûr que Christine Lagarde ait raison de se montrer optimiste sur l’économie française, mais elle n’a pas tort (ce matin, dans Le Parisien) d’exhorter les épargnants et les petits porteurs au sang-froid, de souligner que les banques centrales en général et la banque centrale européenne en particulier ont « fait leur travail » et ne refuser le mot « krach » pour définir la situation boursière actuelle.

Parler de « jeudi noir », comme cela a été fait relève de l’emphase, en effet. Ceux qui propagent avec complaisance les pronostics les plus noirs d’experts les plus pessimistes devraient se rendre compte que bien des Cassandre, en ce domaine, sont … intéressés et que l’effet de panique qui nourrit les spirales infernales est souhaité par nombre de spéculateurs.

De plus,  bien des donneurs de leçons aux banques centrales (à la BCE, surtout) se montreraient plus pertinents en tentant de décrypter le coté « ingouvernable » de l’économie-casino « globalisée » et non en s’attaquant aux seuls vrais remparts contre ces vents de folie qui dérèglent toutes les boussoles et peuvent entraîner les pires catastrophes …sociales.Avec le retour d'un mot qui est chargé de sens: DEPRESSION. 

A Relatio, nous ne manquons pas une occasion de le rappeler depuis le début de ces secousses estivales trois données de fond

1) Cette crise était prévisible puisque le surendettement des Américains, provoqué et développé à des fins strictement spéculatives, avait atteint des limites insupportables. La seule vraie surprise vient de l’internationalisation de cette « correction brutale des marchés ». Elle confirme l’avènement d’un monde financier où, selon la formule de jacques Attali, « personne ne sait plus sui doit de l’argent à qui »

2) L’internationalisation de cette crise américaine confirme à quel point les réseaux financiers sont devenus interdépendants à l’échelle de la planète. Cela implique, pour les Européens, une vigilance tous azimuths qui pour l’heure n’est pas suffisamment exercée. Nous ne suivons pas suffisamment notamment la place prise par les Chinois aux USA : ce sont eux qui permettent au géant (fragile) américain de vivre au-dessus de ses moyens. Nous ne suivons pas assez non plus les mouvements de capitaux, légaux et propres ou illégaux et sales. D’autre « surprises » devant nous… Avec des conséquences qui rendront anecdotiques les suites des impayés des petits propriétaires américains incapables de faire face à leurs traites…

3) Les banques centrales (à l’exception de l’anglaise) on injecté quelque 300 milliards de $ dans les circuits. Pour rassurer, montrer que nous ne sommes pas en panne de liquidités, tenter de limiter les effets « boule de neige » et « cailloux dans l’eau » que la crise provoque. C’est beaucoup. C’est l’équivalent des sommes qui risquent d’être perdues dans ce choc d’août 2007. Mais, toutes choses étant égales, ces nombres avec trop de zéros pour le commun des mortels sont à mettre en face d’une autre évaluation : 11 000 milliards de dollars constituent ce que l’on nomme le « marché financier mondial », donc l’argent en circulation.

Qu’en conclure, provisoirement ?

Sur le premier point : une leçon majeure. Les « agences de notations » qui sont sensées tire les sonnettes d’alarmes quand les risques sont trop mal calculées n’ont pas rempli leurs fonctions. Ce n’est pas leur première défaillance : affaire Enron ,explosion de la « bulle informatique »…

A chaque crise, on réclame, comme Sarkozy vient de le faire en s’adressant au G7, davantage de « transparence ». Les institutions réagissent  moins vite que les acteurs du marché.  

Le Temps écrit fort justement (avec une ironie pleine d'indulence):  « Quand Nicolas Sarkozy exige plus de transparence, il a philosophiquement raison. Quand il demande au G7 d'en fixer les règles, il s'illusionne sur le remède. Depuis que la finance existe, elle a toujours été plus agile que la politique. On peut le regretter, mais c'est comme ça. A moins de la corseter d'une façon qui provoquerait une crise plus grave que l'actuelle, il y a peu d'efficacité à attendre de ce côté-là. »

Sarkozy,par sa lettre médiatisée, fait même ce qu'il ne faut pas faire en une telle circonstance:participer à la dramatiation. Angela Merkel fait preuve de plus de sang-froid.On peut agir et réagir avec discrétion. Limites et dangers de la politique-spectacle...

Sur le deuxième constat, une autre leçon pour les Européens : il s’agit moins de remettre en cause l’indépendance de la banque centrale que de doter l’eurogroupe de moyens supplémentaires d’investigations, d’analyses et de prévisions.

C’est sur le troisième constat que les leçons sont le plus difficiles à tirer. En effet, qui doit payer quoi ?

Le principe de bon sens « qui casse paye » devrait s’imposer. Mais il faut du courage politique et des rapports de forces politiques suffisamment nets pour le mettre en pratique. Les puristes de la finances y sont favorables et ils ne manquent pas d’arguments.
>>>>D’abord, les premières victimes sont d’abord les premiers fautifs… Ceux qui pleurent le plus  sont aussi ceux qui ont gagné le plus en spéculant sans vergogne.

>>>>Ensuite, les pertes sont plus sectorielles que générales chez ces « victimes-coupables ». Un exemple parmi d’autres : L’américain Citigroup, première banque au monde, vient ainsi d’annoncer avoir perdu 700 millions de dollars sur ses « dérivés de crédits immobiliers ».

C’est triste pour lui et ses actionnaires, mais le groupe annonce   un bénéfice annuel prévisible  de 20… mil­liards. Grâce à la tonte de quels moutons ?  

En fait, les vraies victimes sont celles qui ont besoin de vendre aujourd’hui, dans l’urgence,  à perte. Et celles qui doivent reporter à plus tard ou annuler des achats prévus. Mais aucune de ces deux situations ne devrait avoir des conséquences économiques et sociales trop importantes. Quelques aides ponctuelles devraient pouvoir les tirer de ces mauvais pas. Il n’y a pas de quoi mettre le feu à toutes les places boursières…

Cette situation rend la position des banques centrales très difficiles : elles doivent limiter la casse pour les « vraies » victimes sans faire le jeu des « fausses »…

L’un des conseillers de Relatio nous dit : « Si ceux qui ont pris des risques inconsidérés jouissent d’une impunité et se refont une santé facilement, aucun assainissement du marché ne sera possible, les spéculations reprendront sous une autre forme et d’autres crises plus graves seront inévitables… Ce qu’il faut, c’est poursuivre les efforts déployer pour « saucissonner » les risques mais en clarifiant les montages trop complexes qui ont été faits et qui, entre autres inconvénients, favorisent davantage encore les blanchiments d’argent sale et rendre les marchés opaques. »

C’est le même type d’exhortations que font les observateurs suisses :  « La meilleure pédagogie reste la sanction pécuniaire. La finance n'est pas un jeu où l'on gagne toujours », écrit Le Temps.  «  Que les perdants assument leurs erreurs, même si ça fait mal ».

Le problème, c’est que ces « perdants » bénéficient de soutiens politiques forts à New-York et financiers importants à Londres…  «  Dans la nervosité actuelle, on voit hélas se multiplier les actions de sauvetage et les appels aux accommodements » note Le Temps. « Résistons-y. Il faut pardonner au pécheur, mais pas réparer la faute à sa place: il récidiverait demain, en plus grand. »

L’Europe pourrait y résister davantage si la City n’oubliait pas que la Tamise se jette dans la Manche… Mais consolons-nous en repensant à d’autres tempêtes monétaires et financières du temps où l’euro n’existait pas. Les détracteurs de la monnaie unique de l’Union et de l’Euroland devraient rafraîchir un peu leur mémoire… Et les champions de la « souveraineté nationale » devraient sérieusement songer au sens que ne peut plus avoir cette expression en cette ère d’  « économie-casino » sans frontières…

Daniel RIOT


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