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Peter Sloterdijk, Théorie des après-guerres

Publié le 27 janvier 2009 par Edgar @edgarpoe
Peter Sloterdijk, Théorie des après-guerres

Ce petit livre m'a été recommandé par un homme malheureux, stipendié par les organes de propagande européens, mais épris de liberté. Je lui dois la lecture des « Bienveillantes », qu'il en soit encore remercié.

Le choix de ce livre-ci est moins heureux, mais offre tout de même quelque intérêt (principalement celui de donner envie de lire le « Clausewitz » de René Girard).

Peter Sloterdijk est un philosophe allemand. Je serais bien en peine de dire quoi que ce soit sur ses thèses, je ne me souviens que d'un vague scandale à propos de ses « règles pour le parc humain ».

Il a cependant donné une conférence sur les relations France-Allemagne, le 15 novembre 2007, à Fribourg, qui est ici retranscrite.

Si son propos peut sembler, au premier abord, stimulant et provocateur, je le trouve au fond à la limite du chauvinisme et du conservatisme le plus plat.

Pour résumer, il tient que le mieux que l'Allemagne et la France puissent s'offrir réciproquement est l'indifférence. En effet, selon lui, les après-guerres, de Napoléon à Hitler, ont été meurtrières lorsque l'un de ces pays s'est engagé dans une rivalité mimétique avec l'autre.

Sa thèse est qu'un pays vaincu réagit de deux façons possibles : soit en adoptant les valeurs du vainqueur (comme l'Allemagne après 1945), c'est la métanoïa ; soit en conservant leurs valeurs mais en préparant une revanche (comme Clausewitz énonçant pour l'Allemagne les moyens de vaincre un futur Napoléon). Pour faire court, depuis 1945 c'est l'Allemagne qui serait la bonne élève : la culpabilité pour la deuxième guerre mondiale est admise, le modèle démocratique y est pleinement accepté et cet effort est « la constante la plus fiable dans l'histoire des idées et des mentalités des peuples européens après 1945 »...

De l'autre côté, la France serait coupable d'indulgence. En effet, sauvée en réalité par les alliés, la France s'est crue vainqueur de la deuxième guerre mondiale est s'est dispensée d'un retour sur soi nécessaire.

On veut bien suivre Sloterdijk dans cet exercice de culpabilisation de l'affreux modèle français, après tout nous y sommes habitués.

On ne voit malheureusement pas ce que prône Sloterdijk comme modèle. Il n'évoque pas même l'Europe ni l'Union européenne, le rôle des Etats-Unis est inexistant, bref, le monde de Sloterdijk est peu problématique ou encore à décrire (peut-être dans d'autres ouvrages du même auteur...)

Pire, les valeurs qu'évoque Sloterdijk sont bien plates. Les philosophes français qui trouvent grâce à ses yeux sont Glucksman et BHL. Foucault, lui, n'aurait dissocié les « mots » et les « choses » qu'en raison de l'aveuglement français sur la deuxième guerre mondiale : « En Allemagne, la défaite s'appelle la défaite (et le crime, le crime) – et c'est à l'aune de ce mètre étalon sémantique que l'on mesure aussi les autres mots. La France intellectuelle privilégie la position, plus élégante d'un point de vue politique et plus stimulante d'un point de vue rhétorique, selon laquelle les mots et les choses appartiennent à deux ordres séparés. ») De manière à peine élaborée, Sloterdijk oppose la solidité germaine à la futilité française – nous voilà bien avancés.

Sans qu'à aucun moment il n'évoque les conséquence proprement politiques de la réintégration de l'Allemagne au premier rang des nations, on doit sans doute prendre son essai comme l'annonce d'un renouveau allemand, doublé d'un conservatisme philosophique affirmé. On pourrait s'en tenir là et ranger Sloterdijk au rang des partisans d'une sorte de sarkozysme européen (le crime, c'est le crime, mâme Chabot).

Je ne peux m'empêcher de faire part d'une possibilité de lecture encore moins ragoûtante, et pour tout dire moins bienveillante.

D'une part, Sloterdijk, très optimiste sur le travail de l'Allemagne sur elle-même, explique que l'élection du Cardinal Ratzinger comme pape de l'église catholique vient reconnaître un « symbole nouveau de l'intégrité allemande » qui « incarne rien de moins que cette remontée des profondeurs accomplie par la civilisation allemande de l'après-guerre ». Il prend un risque. Car lorsque ledit Benoit XVI réhabilite un cardinal négationniste, ne peut-on, corrélativement, considérer que l'Allemagne montre qu'elle n'a rien appris ? On se contentera de penser en l'espèce que l'église catholique est incorrigible.

Lorsque Sloterdijk, dans quelques pages endiablées, fait remonter à la révolution française, par un jeu d'actions et de réactions, l'origine du marxisme (Marx aurait été « le point de condensation le plus élevé des jalousies allemandes provoquées par la France »), de la Révolution russe et du nazisme, on retrouve là aussi des thèses fort conservatrices et finalement bien peu crédibles, trop grossières.

Mais comment ne pas trouver à la frontière entre le mauvais goût et la faute cette expression, à propos de Nicolas Sarkozy : « le nouveau président a du apprendre, tout récemment, qu'une Cécilia Ciganer ne peut pas être une seconde Jacky Kennedy. » ?

Bref, on aimerait que l'Allemagne, à travers Sloterdijk, n'essaie pas de se racheter de quoi que ce soit. Il y a eu crimes pendant la seconde guerre mondiale, l'Allemagne en porte le poids, la France en porte aussi une partie, Vichy a existé, les Etats-Unis qui ont attendu l'agression japonaise pour entrer en guerre ont aussi une faible part de responsablité. Dans le grand enchaînement qui va de 1918 à 1933, personne n'est à épargner.

L'histoire ne sera pas changée et jamais aucun échafaudage intellectuel ne pourra repousser, sur Marx ou sur la Révolution française, les crimes qui furent commis de 1933 à 1945. Paradoxalement, le côté excessif du plaidoyer de Sloterdijk démontre que la réhabilitation de son pays ne va pas de soi, il a encore besoin de se convaincre que l'Allemagne est un pays « normal », et même encore plus « normal » et méritant que les autres. On dirait qu'il veut effacer au lieu d'oublier. Là commence l'excès. Il ferait mieux de dire posément ce que veut l'Allemagne (un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies serait mérité), plutôt que de laisser entendre qu'elle aurait droit à beaucoup mieux.

En attendant, ce livre mérite ce que Sloterdijk souhaite pour les relations franco-allemandes : l'indifférence. Plus exactement, comme l'auteur est habile, il invite à lire son ouvrage sur l'Europe. J'ai oublié, au sujet de l'habileté de Sloterdijk, qu'il ouvre son propos intelligemment en citant des auteurs connus (René Girard et son Clausewitz) ou moins connus (Heiner Mühlmann).

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