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Rouge Rothko, de Françoise Ascal (une lecture d'Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Ascalfrancoise Il est peut-être aussi difficile d’écrire à partir de sa propre vie que d’écrire à partir de l’œuvre d’un artiste, qu’il soit peintre, chorégraphe, musicien… Le risque existe alors de piéger l’écriture dans une sorte de mimétisme, d’illustration descriptive, ou bien dans l’analyse de tableau et la critique esthétique. Dans Rouge Rothko, on lit une suite de courts textes, à la fois poétiques et réflexifs, à partir d’œuvres picturales qui appartiennent au « musée imaginaire » de l’auteur. Reste à trouver le bon angle de vue, le bon réglage de l’appareil d’écriture. Françoise Ascal y parvient d’abord par un passage très lisse et constant de la prose au vers libre, une sorte d’allure de la rêverie : on n’est pas surpris de voir passer « mon vieux Bachelard » au détour de la page 35. Un autre élément vise à désacraliser l’art (alors même que l’ensemble du livre est bien un exercice d’admiration) en bougeant les hiérarchies établies : des peintres inconnus voisinent avec des peintres illustres, et même chez ces derniers, aucun « chef d’œuvre » n’est évoqué. Pour Dürer par exemple, c’est un bouquet de violettes qui est élu, parce que « monumentale présence du presque rien ». De plus, Françoise Ascal ne part pas d’une vue au musée ou d’une reproduction dans un catalogue précieux, mais de simples cartes postales glanées au fil de ses visites d’expositions. L’œuvre n’est plus saisie dans la distance respectueuse qu’impose le musée, elle a été appropriée ; elle est passée dans l’espace intime, dans le carnet ou sur la table de travail. Enfin, l’emploi fréquent du tutoiement pour s’adresser au peintre ou au modèle recentre à nouveau le texte sur une forme de proximité, d’intimité avec l’œuvre. Ce qui est donné à lire, poétiquement, c’est une expérience, une résonance, une rêverie, un dialogue… Chaque texte est certes relié à une œuvre mais il est surtout autonome et se développe à partir du tableau. L’écriture n’est pas au service des toiles ; elles sont une occasion d’écrire et de saisir au passage ce qui en elles, intimement, nous retient à travers siècles et pays.

On ne sera donc pas étonné de retrouver dans ces pages des tensions particulières à Françoise Ascal. La mort est très présente, notamment via l’étang ou la végétation dense (la mort est verte chez Ascal), avec une puissance égale d’attirance et de répulsion. Mais tout autant, comme dans un arc électrique, à l’autre pôle, nous retrouvons l’affirmation de la vie, et les forces de la joie et du désir. Le texte sur le petit portrait de Frederico Barocci est très ascalien en cela

.

Autre tension manifeste : ces œuvres d’art sont comme hors-temps (même si elles sont dans leur histoire), dans un calme esthétique qui peut sembler bien loin de notre époque  où la violence, l’injustice, l’oppression pèsent sur les vies, reviennent sans cesse sur les écrans. Ce livre ne nie pas cet écart, ne l’oublie pas ; l’art n’est pas considéré comme un arrière-monde protégé où il ferait bon se réfugier. Les textes sur Munch, Dürer, Bonnard… indiquent bien que l’artiste, pas plus que le spectateur, ne sont dans une tour d’ivoire. Ceci posé, mettre cap au pire n’est pas une obligation ; affirmer encore la beauté peut-être une forme de lutte contre un monde mal respirable et encombré par la laideur.

Contribution d’Antoine Emaz


Françoise Ascal
Rouge Rothko
Apogée, 2008
12 €


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