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Dans l'espace multiforme des livres américains, il occupait cette place un peu atypique d'homme de lettres dans le plus pur sens du terme : romancier, poète, critique littéraire, critique d'art, dramaturge, auteur en tout de plus de cinquante livres, au rythme quasi sacré pour lui d'un livre par an en moyenne, John Updike vient de nous quitter à l'âge de 76 ans, victime d'un cancer du poumon.Pilier du New Yorker, dans lequel il a publié plus de 150 short stories depuis les années 50, John Updike restera surtout l'auteur de la "tétralogie Rabbit", dans laquelle, de décénnie en décennie, il a tracé un portrait à la fois acerbe et plein de compassion pour la société américaine, ses travers, ses métamorphoses, d'abord avec Rabbit, Run (1960) qui prenait acte du désanchentement de la génération beat, puis Rabbit Redux (1971), portrait de l'Amérique en crise et en perte de confiance face aux défis politiques et sociaux, suivi de Rabbit is Rich (1981), satire des années Reagan, et enfin Rabbit at Rest (1990) qui concluait avec la mort du héros. On retiendra aussi The Centaur (1963), intrication subtile et étrange de la vie quotidienne et de la mythologie ; Couples (1968), radiographie de la sexualité libérée des années 60 qui fit quelque bruit à sa publication ; et le cycle Bech, satire du milieu littéraire new-yorkais dont Updike se tenait à distance.John Updike, c'était avant tout la beauté de la langue américaine portée à une espèce de paroxysme élégant, un "beau vice", une splendeur de la langue versée avec générosité même sur les êtres les plus privés de parole, un désir de s'approprier le monde né des maladies de l'enfance (asthme, psoriasis, bégaiement). "De nos jours", disait-il, "tout le monde est un héros ou personne ne l'est - j'opte pour tout le monde". Il estimait aussi qu'un bus scolaire ou une canette de bière avait autant le droit à être célébré en mots qu'un chef-d'oeuvre artistique. Il se destinait à l'origine à une carrière artistique. Updike, c'était un sens inné du détail et du sacré, de la miniature incarnée dans le langage, "un Vermeer de l'écriture, dont la vocation est de (...) rendre justice au monde visible et d'en célébrer la gloire" (Sylvie Mathé). C'est ce beau style qui avait, dès le départ, suscité l'admiration inconditionnelle de Vladimir Nabokov.Dans son livre sur la littérature américaine Au-delà du soupçon, Marc Chénetier avait des mots durs, parfois cruels pour Updike, lui reprochant globalement sa complaisance pour le beau langage et son manque total d'innovation formelle. D'autres ont souvent reproché à Updike de n'avoir rien à dire d'important, et de cacher son inanité intellectuelle derrière de belles paroles. Ses descriptions de scènes sexuelles étaient jugée ridicules par certains. Même s'il s'est indubitablement inscrit à contre-courant des développements postmodernes et autres évolutions de la littérature américaine, et même si depuis une quinzaine d'années ses romans n'étaient plus accueillis (à juste titre) qu'avec une tiède bienveillance, John Updike occupera cependant dans cette histoire des lettres américaines une place importante et qu'il reste encore au lecteur français à découvrir dans toute son étendue.Updike était aussi un critique compulsif, "n'écrivant que pour louer", pour le New Yorker ou la New York Review of Books, traitant d'expositions ou de livres trés disparates. Sa curiosité pour les littératures étrangères (chinoises, japonaises, latinoaméricaines) nourrissait une série continue d'articles toujours ciselés. L'année dernière, il avait pris connaissance de l'oeuvre de Roberto Bolaño avec une admiration étonnée. Il y a encore quelques mois, dans ce qui est sans doute sa dernière interview télévisée, il faisait part à un journaliste de son désir de voir un président démocrate de nouveau mener son pays, ce pays qu'il avait tant vu changer en soixante ans : ce dernier souhait, il aura au moins eu la joie de le voir s'accomplir.