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Paris : Hommage à Agnès Varda I / Nos vingt ans

Par Memoiredeurope @echternach

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Bien sûr il devait être question d’elle. Par rapport à Paris, dans la suite de mes chroniques parisiennes. Mais surtout en raison du film qu’elle vient de nous proposer, comme un geste ultime et décontracté, dans le sentiment qu’il n’est justement pas ultime.

“Les Plages d’Agnès”. Des espaces exactement entre deux qui permettent d’être maritime et terrestre à la fois, grâce au vent qui sale la peau et lèche les souvenirs, qui soulève le sable, comme un marchand qui vient nous prendre pour nous plonger dans le sommeil du passé.

Je ne peux pas ignorer où et quand j’ai vu ce film superbe. Un 26 décembre, à Paris, une semaine après sa sortie française, au cinéma MK2 Odéon et avec Marie qui veut – qui est déjà sur la voie de – devenir documentariste et souhaite faire un travail sur Varda et aussi la rencontrer.

Alors on a parlé et on reparlera. On a regardé, séparément les courts métrages. Et puis, je me suis souvenu des films plus récents : il y avait eu « Les Glaneurs et La Glaneuse » en 2000 et « Deux ans après », en 2002 cela va de soi. Et puis j’ai encore cherché un peu plus dans les démarches de la plasticienne : « Patatutopia » à la Biennale de Venise en 2003 et l’exposition à la Fondation Cartier en 2006 : « L’île et Elle ». Il y avait déjà de l’eau, et des cabanes et des bretonnes en coiffes. Et la récolte sans trêves des hommes et des femmes, de leurs visages, de leur allure, des objets délaissés qui les racontent. Des objets tout juste insolites et marrants, à partir desquels on peu entrelacer une histoire.  

Des cabanes et des miroirs ! Alice, on t’a bien reconnue. A 80 ans, tu es une petite fille espiègle.

« Une plasticienne d’avant-garde, à mon âge !» disait-elle sur France Culture en 2006 en faisant la modeste devant ce que ses plus jeunes collègues nomment des installations. 

Un de mes plus grands regrets est de ne plus vivre et travailler quotidiennement au Quartier Latin. Périodiquement, c’est le manque de cinémas à midi, à quatre heures, en soirée, le manque de rétrospectives, le manque de contacts avec les cinéastes et les acteurs, qui me prend et me sidère. Un manque terrible. Les vidéos et les DVD ne pallient que très temporairement. Il y avait – ne soyons pas négatif – il y a certainement encore, une atmosphère de recueillement, ou de joie, ou de drame et d’amour dans toutes ces petites salles du Ve et du VIe arrondissements qu’il suffisait de choisir, à partir de la Place de la Sorbonne, en remontant rue Victor Cousin, en descendant rue Champollion. Et la rue de l’Ecole de Médecine, pour retrouver la rue Serpente. Et de la Rue des Ecoles, à la Rue Monsieur le Prince, jusqu’aux extrêmes, rue des Ursulines au Nord, rue de la Harpe et rue Saint-Sèverin au sud.

Et ce jour là, près de l’Odéon, dans cette salle où la plupart venaient retrouver leur adolescence, quand Agnès avait elle-même vingt ans ou quarante et qu’ils étaient étudiants et étudiantes, il y avait des larmes. C’est drôle à dire ! Sur qui et sur quoi mon voisin pleurait-il ? Sur lui-même certainement, comme moi. Et des applaudissements. C’est rare aussi. Je me souviens de longs applaudissements semblables à la projection de « Tous les matins du monde ». C’était en banlieue parisienne, à Taverny ou Saint-Leu la Forêt, au début des années quatre-vingt dix. Et puis à la projection d’Amadeus. Une standing ovation. C’était au Canada, cette fois là, à Banff dans un centre d’art où on m’avait invité à donner une sorte de séminaire sur l’écriture dans l’art textile contemporain.

Et puis, après tout, nous pouvons bien pleurer avec elle lorsqu’elle dépose des roses devant les portraits de ces jeunes gens disparus : Gérard Philippe, Jean Vilar, Philippe Noiret ou Charles Denner. Qui d’autre va les pleurer sinon ceux à qui ils ont donné d’immenses émotions ? Et Agnès a sur capter le meilleur d’eux-mêmes ! Elle était là au début de l’histoire, avec Jean Vilar et Andrée Vilar, la plasticienne, la créatrice de tapisseries, qui perd la mémoire aujourd’hui, mais qui fait figure de sphinge, à la porte d’un monde évanoui.

Mais voilà que tout se mêle dans ma tête. Comme dans celle de mes voisins parisiens en décembre. Agnès nous a tous accompagnés, c’est certain. Elle a fait bouger plein de choses dans nos têtes, comme une grande sœur, un peu en avance sur nous. Elle nous aide aujourd’hui à pointer des moments intimes : ”Cléo de 5 à 7″ en 1961, ou la prise de conscience de l’inexorable de la maladie d’une jeune femme ou bien encore « Le Bonheur » en 1964, la première fois où nous avons été infidèles et les images de Cuba que nous voulions voir avec les plus beaux yeux du monde « Salut les Cubains (1963) ! Un des plus étonnants court métrage en photos fixes dont je me souvienne. Et les “Blacks Panthers”. C’était en 68. Vous comprenez pourquoi nous nous regardions tous d’un air étrange dans cette salle de soixante-huitards !

La morale, au-delà de la morale ordinaire. Tout ce qui a bouillonné contre les interdits et qui, comme « Le bonheur », était même Interdit aux moins de 18 ans. Un couple heureux. Des enfants. L’homme en aime une seconde. La première se noie par accident. L’homme va vivre avec la seconde. Les enfants suivent. Le bonheur quoi ! Un mot scandaleux pour cette situation amorale. Et le corps de la femme. Ce corps dans l’angoisse du cancer. Pourquoi parler de cet intime là, à une époque où les femmes ne disaient mot, même à leur compagnon, surtout à leur compagnon et apprenaient à réguler les naissances dans un sentiment de faute ? Alors, on ne parlait simplement pas de toutes ces chose là ! Et surtout, on ne les filmait pas…ou alors seulement s’il s’agissait de la Dame aux Camélias et des Liaisons Dangereuses. Pas des vies ordinaires. 

Heureusement j’étais à la Fac, j’avais tout juste dix-huit ans. Je pouvais entrer dans les salles et je ne m’en suis pas privé.. 

Bien entendu, ce n’est pas que cela. Ce sont des moments d’émotion esthétique. Un regard, en couleurs pour “Le Bonheur”, en noir et blanc pour Cléo. Mais des couleurs étranges, trop belles justement. La vie en rose. Et un noir et blanc trop cru, trop vrai, justement. Le noir et blanc magnifié par la photographe superbe.

Et puis il y a eu la disparition des hommes, des siens. Et le portrait magnifique de Jacquot de Nantes (1991) dans des lieux hantés pendant un mois d’août bien chaud lors de mes classes en 1973. Vous savez, cette période qui n’existe plus où, en France on apprenait à monter et démonter un fusil. Les magnolias de la caserne débouchaient vers le jardin botanique et ses camélias fanés, le château des Ducs de Bretagne, temple de la tapisserie à ce moment là, le Théâtre Graslin, les immeubles aux beautés scandaleuses, construits au temps des esclaves et du commerce triangulaire, l’usine des petits LU encore en place à l’époque et le Passage Pommeraye où trône le fantôme réel de Jacques Demy…. 

« C’est en racontant les autres, que je parle le plus de moi » dit-elle. Alors il était sans doute temps que dans miroir et sur la plage on voit son visage. Et surtout son corps. Un peu gauche. Elle ne peut plus courir ! Mais il est justement placé. Là où il faut, avec grâce. Là où il dit : j’étais là, dans le moment que je vous raconte !

Parfois, à reculons.


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