A première vue, il est difficile de définir Le Bal des actrices, le nouveau film de la comédienne et réalisatrice Maïwenn. Est-ce un documentaire ? Une fiction ? Une œuvre fantaisiste ou réaliste ? Intime ou ouverte vers les autres ?
En fait, c’est un peu de tout cela à la fois, assorti d’une délicieuse mise en abîme et empreint d’une bonne dose d’autodérision… Maïwenn se met en scène, dans son propre rôle, se filme en train de réaliser un documentaire sur de vraies actrices. Elle suit des stars reconnues, des artistes peu connues, des jeunes talents plein d’avenir, des comédiennes « has been », des mannequins ou comiques souhaitant être considérée comme des actrices à part entière, chacune incarnant son propre rôle. Car dans ce film, il s’agit bien de rôles à jouer. Ces actrices revisitent leur propre personnalité, s’inventent des défauts qu’elles n’ont pas, ou accentuent ceux qu’elles possèdent déjà, jouent sur leur image ou se mettent réellement à nu.
Ainsi, Karin Viard se voit en star à l’égo démesuré qui rêve de quitter la médiocrité française pour aller tenter sa chance à Hollywood (pas si facile quand on ne maîtrise pas la langue de Shakespeare…). Charlotte Rampling assume son statut de star énigmatique et inaccessible. Mélanie Doutey incarne une étoile montante du cinéma, déjà fatiguée de sa carrière et un brin capricieuse. Julie Depardieu garde son côté « bonne copine », et voit un rôle interférer avec sa vie privée. Marina Foïs se réinvente en actrice adepte du botox, complexée par son ancienne carrière de comique chez les Robins des bois alors qu’elle rêve de grands rôles dramatiques. Tout l’inverse de Jeanne Balibar, l’égérie du cinéma d’art et d’essai à la française, qui n’aurait rien contre un peu d’action.
Et puis il y a celles qui ne jouent pas (ou presque) : Karole Rocher, actrice trop peu exploitée par le cinéma français, raconte un peu ses années de galère dans des cours de théâtre coûteux et inutiles. Linh Dan Pham parle des difficultés à faire accepter son métier de « vulgaire saltimbanque » à ses parents, jusqu’à ce qu’elle ait décroché le César du meilleur espoir féminin. Estelle Lefébure, elle, est blessée qu’on ne la considère pas comme une vraie actrice, alors qu’elle enchaîne les petits rôles. Tout comme Muriel Robin, bouleversée – et bouleversante – de n’être considérée que comme un clown alors qu’elle a étudié au Conservatoire avant de faire des one-woman shows. Ou encore Romane Bohringer, véritable révélation des années 1990 aujourd’hui absente des écrans, un peu « has been » et prête à tout pour revenir sur le devant de la scène…
Maïwenn elle-même se réinvente une vie. Ici, elle s’imagine mariée à Joey Starr ( !) et se voit en réalisatrice narcissique, très critique envers ses pairs, et délaissant sa vie privée pour tourner son projet cinématographique hors normes…
Dans ce Bal des actrices, la vérité et le mensonge s’entrelacent de manière trouble. On ne sait jamais ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce qui est joué et ce qui relève de l’intime. C’est à la fois séduisant, le film arborant ainsi une tonalité originale, très juste, et c’est aussi un peu déroutant et frustrant. Mais qu’importe… On n’est pas dans un de ces magazines people raillés par la cinéaste. Juste dans une fiction qui emprunte beaucoup à la vie réelle, tout comme une actrice puise dans son vécu, dans sa culture personnelle, pour nourrir un rôle…
L’illustration la plus belle en est donnée dans la séquence avec Romane Bohringer. L’actrice tente de passer un casting pour jouer dans le nouveau film d’Yvan Attal. La directrice de casting ne lui en laisse pas la possibilité : ils cherchent plutôt une inconnue pour le rôle. Dans le café voisin, Romane craque. Sa carrière d’actrice est au point mort. Les seules propositions qu’on lui fait sont des prestations d’hôtesse de luxe pour le lancement de nouveaux produits, des shows publicitaires bien rémunérés, mais peu valorisant en terme d’image. Elle est rejetée dans chaque casting. Trop connue… Ou pas assez… Alors elle pleure, balance tout ce qu’elle a sur le cœur à Maïwenn, se met à nu. Elle retourne dans la salle de casting, insistant pour être auditionnée. Et là, miracle, elle est époustouflante, puisant dans son mal-être personnel, sa fragilité émotionnelle, pour donner corps à son personnage… Toute la magie du métier d’actrice…
Cette profession, Maïwenn l’a pratiquée – et la pratique encore occasionnellement. Elle en parle avec une certaine malice, sans concessions ni complaisance, mais sans chercher non plus à en écorner l’image. De façon ludique, la cinéaste aborde la quasi-totalité des facettes du métier : sa complexité, ses avantages et ses inconvénients, les rêves et les déceptions qu’il génère, les névroses qui l’alimentent ou qu’il crée…
Elle se permet des évocations allégoriques audacieuses, par exemple lorsqu’elle semble comparer le travail d’une actrice à un accouchement (la séquence avec Julie Depardieu) ou à l’explosion d’une énergie brute, d’une force quasi-animale qui remonterait à la surface (les drôles de cours de théâtre dans lesquels Karole Rocher se rebelle et donne, malgré elle, ce qu’attend la prof…).
Elle parle également de la relation actrice-réalisateur (trice), parfois conflictuelle (voir les coups de gueules d’Attal ou de Jacques Weber), mais aussi quasi-amoureuse. (Maïwenn elle-même se laisse un moment séduire par le charme d’une de ses actrices, ce qui donne une savoureuse scène de dialogue avec Joey Starr). Et aussi du désir qu’ont la plupart des actrices de passer un jour à la réalisation, de prendre la direction des opérations, ne plus subir mais décider…
Un vent de liberté souffle sur ce film atypique. Dès lors chacun des intervenants peut se lâcher et régler quelques comptes au passage. Jeanne Balibar donne un coup de griffe à son ancien compagnon, Mathieu Amalric : « Je n’ai pas les moyens, moi… Je ne tourne pas chez Spielberg ou dans un James Bond… ». Karole Rocher se venge manifestement de son ancienne prof de théâtre, une peau de vache qui était grassement payée pour humilier ses élèves… Julie Depardieu parle à demi-mots de son environnement familial parfois lourd à porter (Il faut la comprendre : au sens comme au figuré, il pèse son poids, notre Gégé national…).
Maïwenn elle-même ne se prive pas pour asséner quelques coups bas : à Cécile de France, son ex-partenaires dans Haute tension (les massacres à la tronçonneuse, ça ne créé apparemment pas de liens…), à Luc Besson, son ex-pygmalion et père de sa fille, à Catherine Breillat, à Estelle Lefébure… Elle ne s’épargne pas elle-même, se posant en réalisatrice snobe et hautaine, en mère trop absente, en mauvaise copine. Elle laisse à ses partenaires le soin de lui balancer quelques répliques bien senties, ironisant sur sa volonté de devenir la nouvelle Sofia Coppola.
Ce jeu de massacre impertinent rappelle parfois l’univers corrosif de Bertrand Blier. La référence n’est pas fortuite, l’auteur de Buffet froid ou des Valseuses ayant lui-même réalisé un film sur le travail des comédiens, sobrement intitulée Les acteurs. Une œuvre un peu trop avant-gardiste pour l’époque, qui trouve aujourd’hui tout son sens… Maïwenn admirant beaucoup le travail du cinéaste, elle l’a d’ailleurs invitée à jouer son propre rôle dans le film…
Finalement, et paradoxalement, le seul à rester bien sage au milieu de ces femmes au bord de la crise de nerfs, c’est Joey Starr. Il casse complètement son image de rappeur violent et gueulard pour incarner un papa-poule aux goûts simples, calme et posé, les pieds sur terre - Un rôle de composition ? - Pour autant, il maîtrise toujours l’art de la vanne assassine et ne se prive pas pour se livrer à de belles joutes verbales avec Maïwenn.
Il a aussi écrit l’une des chansons du film, à l’instar de ses camarades Anaïs, Benjamin Biolay, Marc Lavoine, Jeanne Cherhal, Pauline Croze, Holden ou Nina Morato. Car, en plus d’être un faux docu-fiction, Le bal des actrices se paie le luxe d’être également une comédie musicale ! Le temps de courtes saynètes, les actrices poussent la chansonnette…
S’appuyant sur des textes plutôt inspirés, ces séquences, probablement les plus audacieuses et les plus réussies du film, illustrent de manière fantaisiste ou poétique les états d’âme des « personnages ». Le résultat est plutôt surprenant et franchement probant. Le temps de ces petits clips, la cinéaste délaisse l’aspect volontairement amateur de son pseudo-documentaire et soigne le visuel, soit par le biais d’effets de montage, soit par les chorégraphies.
Contraintes à un exercice qu’elles ne maîtrisent pas vraiment (sauf pour certaines d’entre elles, également chanteuses, comme Jeanne Balibar), les actrices sont, pour le coup, vraiment mises à nue, comme sur l’affiche du film. Il fallait pas mal de cran et un sens aigu de l’autodérision pour accepter les drôles d’idées de Maïwenn. Beaucoup ont refusé, comme Monica Bellucci, Sophie Marceau, Mathilda May ou Isabelle Adjani. Elles ont eu tort, tant celles qui ont joué le jeu sortent grandies de l’aventure…
Cette critique qui part dans tous les sens montre à quel point le film foisonnant de Maïwenn est difficile à décrire. Le Bal des actrices est assurément hors normes et constitue une véritable curiosité audiovisuelle, comme s’il résultait de la collision des Acteurs de Blier, du Pourquoi (pas) le Brésil ? de Laetitia Masson et du 8 femmes de François Ozon. Bien que filmé un peu n’importe comment, monté étrangement, (faussement) improvisé et très autoréférentiel, il comporte de formidables moments de cinéma, de rire et d’émotion et dresse un portrait finalement très juste du métier d’actrice. L’une des bonnes surprises de ce début d’année…
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