Le Vague nerf de la guerre

Ceux qui pensent que l’Allemagne des années 1930 à 1950 n’était peuplée que de barbares sanguinaires endoctrinés par le national-socialisme se trompent lourdement.
Des films comme La liste de Schindler ou Amen ont montré le rôle exercé par certains industriels ou soldats germaniques pour tenter d’empêcher, à leur niveau, l’horreur des « camps de la mort » et sauver du génocide des milliers d’êtres humains pourchassés par le régime nazi. Peu de films, en revanche, ont parlé des réseaux de résistants allemands, de ceux qui refusaient d’être associé à ce régime haineux et belliqueux, et notamment à son chef Adolf Hitler.

Walkyrie raconte l’histoire d’une poignée d’hommes, issus de l’aristocratie ou haut dignitaires de l’armée, qui ont essayé de reprendre le pouvoir en tentant d’assassiner Hitler. Leurs motivations étaient très variables. Certains, politiciens ambitieux, ne visaient rien d’autre que le pouvoir. D’autres, en revanche, souhaitaient prendre leurs distances avec les atrocités commises par les nazis et restaurer l’honneur de l’armée allemande.
C’était le cas du Comte Claus Von Stauffenberg, un gradé de l’armée allemande nationaliste et conservateur, mais hostile aux idées du Führer. Après avoir réchappé à une attaque alliée en Afrique du Nord, où il perdit son œil gauche et sa main droite, il fut approché par deux résistants, le général Olbricht et Henning Von Tresckow. Ceux-ci lui proposèrent de participer à l’élaboration d’un attentat contre Hitler. Von Stauffenberg refusa tout d’abord, car il ne voyait pas l’intérêt de supprimer le Führer si ce meurtre n’était pas immédiatement suivi d’un coup d’état. Mais il eut la brillante idée de retourner contre le pouvoir un dispositif destiné à mobiliser l’armée de réserve en cas de tentative d’insurrection à Berlin. L’objectif était de réussir à rentrer dans le cercle de militaires proches du Führer, de le tuer à l’aide d’explosifs, puis d’accuser les SS de ce complot, forçant l’armée de réserve à les arrêter et à prendre le contrôle de Berlin. En somme, de lui faire croire qu’elle combattait un coup d’état alors qu’elle était en train de le réaliser…

Le film de Bryan Singer est un thriller historique qui raconte tous les événements de cette opération, tentant de coller au plus près des faits et axé autour du personnage de Von Stauffenberg, incarné par Tom Cruise. J’imagine déjà certains s’interroger sur l’intérêt d’un film à suspense dont l’issue est connue. Evidemment, Hitler n’est pas mort lors de l’attentat, mais en se suicidant dans son bunker moins d’un an après. Evidemment, le coup d’état a échoué et le régime n’a été renversé que suite au débarquement allié en Normandie…
Pourtant, miracle, le film fonctionne. Grâce à son talent de metteur en scène, et bien aidé par son équipe technique, Bryan Singer réussit à insuffler à son histoire la tension nécessaire.Le spectateur est plongé dans les coulisses de cette tentative de révolte qui aurait pu aboutir si une somme de petits détails n’avait pas ruiné les plans brillants du groupe de résistants.Si la réunion où Hitler devait être abattu n’avait pas été déplacée… , si Von Stauffenberg avait eu le temps d’amorcer la deuxième charge explosive… , si un soldat n’avait pas éloigné de quelques centimètres la mallette piégée…, si chacun avait pris ses responsabilités juste après l’attentat manqué… L’histoire aurait sans doute été changée. On assiste, impuissants, à ces tours cruels du destin, conscients de l’issue, inéluctable, mais vibrant avec ces personnages engagés dans une mission qu’ils savent potentiellement vouée au suicide, mais prêts à tout pour retrouver la dignité humaine que leur compromission avec le régime leur a ôtée.

Walkyrie, forte du brio narratif du cinéaste, pourrait être une œuvre de tout premier plan. Malheureusement, elle se retrouve plombée par quelques baisses de rythme, dues à des épisodes mal exploités. Les principaux tournent autour de l’épouse de Von Stauffenberg. On ne voit pas trop ce qu’ils apportent à l’intrigue, si ce n’est nous faire bénéficier de la présence de l’adorable Carice Van Houten et de rappeler que ces figures héroïques étaient avant tout des hommes soucieux de la protection de leurs proches. Cela ralentit inutilement l’action et l’actrice, si brillante dans le Black Book de Verhoeven, n’a aucune scène à défendre réellement. De la même façon, le personnage de Von Tresckow, sur qui Singer insiste lors du premier tiers du film s’efface étrangement en cours d’intrigue pour ne réapparaître qu’à la toute fin de l’œuvre.

Autre défaut, un peu plus gênant et curieux chez Singer, le côté trop manichéen des personnages. Ses héros sont trop monolithiques, trop purs pour être tout à fait crédibles. L’ensemble manque d’ambiguïté, alors qu’il y avait matière à de jolis cas de conscience. Le politicien opposé aux projets de Von Stauffenberg, par exemple, ambitieux attiré exclusivement par le pouvoir aurait mérité d’être plus développé, tout comme celui, plus noble, de Ludwig Beck. Finalement, les seuls personnages a posséder une certaine ampleur sont ceux joués par Tom Wilkinson et Bill Nighy, à la fois désireux de participer à cet acte historique, mais apeurés par les éventuelles conséquences d’un échec.

Heureusement, le casting, impeccable, compense le manque de contours des personnages par une présence pleine d’intensité. Le réalisateur a su s’entourer d’acteurs aguerris, si j’ose m’exprimer ainsi. Tom Cruise est d’une sobriété exemplaire et tient son rôle avec talent – au diable la polémique sur sa vie privée… A ses côtés, une belle troupe d’acteurs britanniques : Kenneth Branagh, Terrence Stamp, Nighy et Wilkinson, donc… Plus un David Bamber assez impressionnant en Hitler.

En résumé, Walkyrie est un film historique tout à fait convaincant, un thriller haletant qui s’élève au dessus de la moyenne des divertissements hollywoodiens, mais qui pêche curieusement par un manque de complexité et de densité.
Note :

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