Depuis ma critique élogieuse de Didine, l’an passé, vous connaissez mon petit faible pour la délicieuse Géraldine Pailhas. Alors forcément, je n’allais pas manquer une nouvelle occasion de voir la belle en chair et en os, pour l’avant-première d’Espion(s), le premier film de Nicolas Saada. Et pendant que des donzelles hystériques tentaient en vain de se faire remarquer par son partenaire dans le film, le sympathique Guillaume Canet, moi je plongeais mon regard dans les beaux yeux noisette de Géraldine. J’aurais pu rester là des heures, à la regarder comme on contemple une œuvre d’art qui vous bouleverse, à la fois très proche et inaccessible… Ca aurait suffit à mon bonheur. J’étais bien, assis au premier rang, tournant le dos aux bruyantes - et fatigantes groupies de Canet…
Deux heures après, je me lève de mon fauteuil, nettement moins comblé… Il faut dire que l’équipe du film est partie depuis longtemps, après s’être contentée d’un bref salut au public, et qu’entretemps j’ai vu ledit film, pas franchement génial…
Il est centré sur Vincent le personnage incarné par Guillaume Canet, un type brillant, qui s’est écarté du parcours tout tracé que lui destinaient ses études, pour tremper dans de petites magouilles. Employé comme bagagiste dans un aéroport parisien, le jeune homme s’autorise, en compagnie de son collègue Gérard, à voler des objets de luxe dans les valises qui leur sont confiées. Un jour, ils ouvrent un bagage appartenant à un diplomate syrien. Gérard s’asperge de ce qu’il croit être un parfum. C’est en fait un explosif liquide destiné à des groupes terroristes. Il meurt dans l’explosion, et Vincent se retrouve dans une situation délicate. Coincé par la DST (1), il n’a pas d’autre alternative que de coopérer avec les services secrets pour éviter la prison. Ceux-ci lui proposent d’aider à piéger les hommes suspectés d’orchestrer ce trafic d’explosifs. Ils l’envoient à Londres, auprès du MI5 (2), afin qu’il leur serve de « source » (3). Sa mission est de se faire passer pour un médecin membre d’une ONG, d’approcher par ce biais Peter Burton, l’un des généreux donateurs, un riche homme d’affaires anglais, que le MI5 soupçonne être manipulé par les services secrets syriens, et de gagner sa confiance pour pouvoir glaner des informations utiles. Les dirigeants des services secrets le poussent bientôt à séduire la femme de Burton, Claire (Géraldine Pailhas) pour pouvoir la manipuler et accéder aux dossiers sur les ordinateurs du businessman. Le problème, c’est que Vincent va être rattrapé par ses sentiments, et qu’en matière de sécurité nationale, on ne peut pas se permettre de sentimentalisme…
Espion(s) cherche clairement à s’inscrire dans la veine des films d’espionnage hitchcockien, comme Les enchaînés ou La mort aux trousses. Des œuvres qui mêlaient habilement suspense et histoires d’amour sensuelles. Le cinéaste dit aimer ces récits parce qu’ils concernent « la manipulation, les faiblesses humaines, la fragilité qu’il y a dans chacun de nous ».
De ce point de vue, son film est assez réussi. Il y a quelque chose de touchant dans la relation entre Claire et Vincent, où le jeu de séduction est à la fois sincère et biaisé, et où les sentiments se retrouvent étouffés par des enjeux qui dépassent les protagonistes.
La plus belle scène du film est sans doute celle où Vincent révèle à Claire la vérité. Ils viennent de faire l’amour dans une chambre d’hôtel. Elle découvre que d’une part, son mari est mêlé à des affaires particulièrement douteuses et que, d’autre part, celui qui a réussi à réveiller chez elle un sentiment amoureux ne faisait que jouer un rôle. C’est comme si tous ceux qui l’entourent n’étaient que de parfaits étrangers… A la fois bouleversée et en colère, elle s’en veut d’avoir cédé aux avances de Vincent. Pire, elle s’en veut de s’être ouverte à lui, de lui avoir dévoilé des choses intimes, personnelles…Pour elle, cela sonne comme une humiliation qui la laisse vulnérable, plus exposée que jamais, et contrainte de trahir l’homme qui lui apportait confort et sécurité… Vincent, lui, baisse les yeux, envahi par un sentiment de honte et de gâchis. A peine esquissée et leur histoire est déjà finie, victime de la raison d’état…
Si la partie romantique occupe le cœur du film, le cinéaste n’en délaisse pas pour autant la partie espionnage et respecte toutes les conventions, tous les codes du genre. Il faut dire qu’avant de passer à la réalisation, Nicolas Saada a été longtemps critiques pour « Les Cahiers du cinéma ». Autant dire qu’il connaît ses classiques, et qu’il a une bonne idée de ce que peut être une mise en scène efficace. Mais, malheureusement, il ne suffit pas de vénérer les cinéastes de génie et de chercher à les copier ou à les recycler pour réussir un film… Encore faut-il du talent, de l’envie et de l’audace…
Hélas, le style de Nicolas Saada est bien trop lisse pour convaincre réellement. L’ensemble manque d’inventivité et de brio narratif. On note ça et là quelques fautes de montage, des mouvements de caméra approximatifs, pas rédhibitoires, mais gênants, même pour une première réalisation… Et surtout, le rythme de l’ensemble est beaucoup trop mollasson, laissant au spectateur le temps de s’apercevoir les failles de l’intrigue et les grosses ficelles employées par le réalisateur.
Le scénario, en effet, n’est pas des plus crédibles. Passe encore que l’on puisse imaginer la DST confier une mission aussi importante à un civil à la moralité douteuse, mais voir ce dernier tenir tête à des hommes entraînés, agents ou terroristes dangereux, manier un revolver ou des explosifs tout à fait naturellement, c’est tout à fait invraisemblable. Chez Hitchcock aussi, il y a des invraisemblances, me direz-vous… Sauf que Sir Alfred maîtrisait l’art de la narration et le langage cinématographique mieux que quiconque et qu’il réinventait constamment les codes du genre. Ici, Saada, emploie des artifices archi-usés, sans chercher à y apporter une quelconque innovation, ni se soucier de leur réalisme.
Deux exemples, parmi tant d’autres : la scène de filature dans les transports en commun londoniens, filmée sans une once de suspense alors qu’il s’agit d’une des scènes-clés de l’intrigue, et pire, celle où Claire doit copier le contenu de l’ordinateur du bureau de son mari sur une clé USB. Va-t-elle avoir le temps de trouver le code d’accès, de copier les données et de sortir du bureau avant que son mari, ou le complice de celui-ci, ne la découvre ? Pfiu ! Quelle tension dramatique ! C’est le genre de scène qu’on n’a jamais vu, ça, les cocos… Ca c’est du suspense ! Heureusement que les services secrets britanniques sont mauvais, sinon on n’aurait jamais eu droit à ce pic de tension narrative. Si, si, ils sont forcément mauvais pour risquer de griller le double-jeu (mou) de Claire (4) en lui imposant d’effectuer elle-même cet acte héroïque de piratage informatique alors que n’importe quel hacker de haut vol pouvait effectuer la même manœuvre en deux secondes à distance (si Claire peut trouver le code en moins de deux minutes, alors c’est du gâteau pour un expert en flibusterie informatique…). Ou alors, c’est qu’ils n’ont pas de petit génie de l’informatique sous la main, au MI5. Remarquez, ça doit être ça, c’est vraiment la dèche puisque c’est le chef du service lui-même qui doit effectuer les filatures à haut risques – James Bond devait être en vacances…
Bref, si la partie intimiste, centrée sur la relation Claire/Vincent est tout à fait correcte, la partie espionnage s’avère plate, peu crédible et un peu longuette… Espion(s) est très loin des Enchaînés et, dans le même registre, on peut lui préférer le Secret Défense de Philippe Haïm, plus nerveux et plus inspiré dans ses références.
En fait, le seul véritable atout du film de Nicolas Saada réside dans son casting, complice et complémentaire. A l’exception d’Hippolyte Girardot, qui en fait des tonnes dans son rôle de grand ponte de la DST froid et manipulateur, tous les autres assurent le métier avec sobriété et talent. Côté anglais, on retrouve Stephen Rea, l’acteur-fétiche de Neil Jordan, Archie Panjabi (Joue-la comme Beckham, The Constant gardener ou Un cœur invaincu), Alexander Siddig (Syriana) et Vincent Regan (300). Côté français, Guillaume Canet est plutôt à l’aise en type ordinaire brusquement embarqué dans une mission périlleuse, qui voit ses repères totalement bouleversés – un rôle proche de ceux tenus dans Les morsures de l’aube ou La clé. Et puis, bien sûr, il y a la grâce de Géraldine Pailhas, l’intensité de son jeu, qui passe souvent par le regard. Ah ! Géraldine… Heureusement qu’elle était là pour sauver ma soirée…
Note :
(1) DST : Direction de la Surveillance du Territoire, ancien réseau de services secrets français spécialisé dans le contre-espionnage. A fusionné en 2008 avec les RG (renseignements Généraux).
(2) MI5 : Military Intelligence section 5, équivalent de la DST en Grande-Bretagne.
(3) Source : en jargon d’espion, personne civile enrôlée pour une mission ponctuelle de renseignement.
(4) Jeu de mot assez mou du genou autour d’un film d’ Eric Rohmer, un autre ancien des « Cahiers du cinéma » : Le genou de Claire