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Quelques scènes de la vie de Bohème : "PRIVAT D'ANGLEMONT S'EMBËTE !" Une promenade dans Paris, en compagnie de Balzac, Dumas, Sue, Musset, Méry, Delacroix

Par Bernard Vassor

Par Bernard Vassor 

 

PRIVAT D’ANGLEMONT, LE GENTILLOMME CLOCHARD 

(Privat d'Anglemont est né dans l'île Sainte-Rose près de la Martinique)

Il fut l'historiographe des bas-fonds de Paris, il était l'ami des plus grands écrivains de son temps, des patrons de cafés des filles de joie et des souteneurs du quartier des halles qu'il connaissait tous par leurs prénoms.

Il était un des "murs porteurs" de la Brasserie des Martyrs et du cabaret de Paul Niquet aux Halles.

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 J'avais cherché depuis des années à localiser sa sépulture au cimetière Montmartre, où il ne figure pas sur les registres. J'ai maintenant l'explication ......

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Quelques scènes humoristiques de la vie de bohème pour démontrer la polularité de Privat, alors qu'il est aujourd'hui presque oublié  par Alexandre Pothey :

Privat s'embête :« Un matin, en passant dans la rue Saint-André-des-Arts, l'envie me prend de monter chez Alexandre Privat d'Anglemont. Je le trouvais achevant sa toilette et prêt à sortir.
« Comment vas-tu, mon vieil ami ?

--Peuh !je m'embête !
--Qoi ! m'écriai-je tout effrayé, tu es malade ?
--Non, mais je m'embête….
--Allons donc, ! il faut chasser cela, ; je ne te quitte pas, viens avec moi, et essayons de dissiper ce vilain mal »
Nous descendîmes. Devant le passage du Commerce*, j'aperçus Méry qui s'en allait tout emmitouflé sous les plis de son vaste manteau, malgré les ardeurs du soleil de juillet.
« Joseph ! mon bon Joseph ! »
--Qu'est-ce que c'est ?
--Une aventure bien extraordinaire, mon cher Joseph ! Privat s'embête.
--Privat ?….C'est impossible…Est-ce vrai Privat ?
--C'est vrai.
--Alors, mes enfants, je vais avec vous, et nous chercherons quelque distraction »
Le chapeau sur les yeux, les mains dans les poches de sa longue redingote, une cravate toritllée autour du cou, les jambes passées dans un pantalon à pied qui se perdait dans d'énormes souliers , Balzac arpentait la rue Dauphine.
« Honoré ! s'écria Méry.
--Bonjour, amis, je vais chez la duchesse….
--Pas du tout, tu vas à l'Odéon faire répéter ta pièce ; mais il te faut rester avec nous.
--Et pourquoi cela ? demanda Balzac.
--Parce que Privat s'embête, et qu'il est impossible de le laisser dans cet état.
--Privat s'embête ?…Mais alors je vous accompagne, et j'abandonne ma répétition. »
En ce moment une bonne grosse figure réjouie passa par la portière d'un fiacre, et une vois s'exclama :
« Je vous y prend ingrats ! Vous flânez dans les rues et vous m'oubliez. Avez-vous décidé de ne plus jamais franchir mon seuil ? je vous attend à dîner demain soir. C'est convenu, n'est-ce pas ? au revoir à demain !
-- Mais, mon bon Alexandre, tu ne sais pas la triste nouvelle ?
--Quelle nouvelle ?
--Privat s'embête, répondit Dumas redevenu sérieux, laissez moi payer ma voiture, et je suis des vôtres.
»
Au coin du Pont-Neuf, nous rencontrâmes Alfred de Musset qui causait avec Eugène Delacroix. En quelques mots, nous les mîmes au courant de cette invraisemblable histoire.
« Mais moi aussi je m'embête, murmura le doux poète.
--Vous mon cher Alfred, ce n'est pas la même chose, dit Delacroix avec vivacité, vous en avez l'habitude. Mais pour Privat, c'est différent.

--Allons donc » fit Musset avec résignation.
En marchant à l'aventure, nous avions traversé le Pont-Neuf et gagné la place des  Trois-Maries, quand
Dumas nous arrêta en étendant ses deux grands bras.
--
Attention ! dit-il, nous sommes sauvés : j'aperçois Eugène Sue qui mange des prunes chez la mère Moreau.** »


Ganté de frais, vêtu avec l'élégance la plus correcte, Eugène consommait coup sur coup, les noix, les prunes et autres fruits confits.
«
J'étudie, fit-il avec un fin sourire en nous voyant envahir son refuge.Le chinois qu'il portait à sa bouche lui échappa des doigts quand il connut le but de notre visite. Il semblait atterré, et longtemps, il réfléchit en silence.
«
Je crois avoir trouvé, dit-il enfin ; pour moi, je ne puis rien faire, mais je pense que Bouchot peut nous tirer d'embarras.--C'est vrai ! s'exclama l'assemblée avec unisson ; allons trouver Bouchot*** . »
L'artiste terminait son chef-d'oeuvre, les Funérailles de Marceau. Absorbé par son travail, il était vraiment surexcité, et il n'aimait pas qu'on le dérangeât. Perché en haut de sa double échelle, il peignait avec une contention la plus extrême quand tout la bande fit invasion dans son atelier. Sa fureur devint sans bornes.
--
Allez-vous bien vite sortir d'ici, sacripants ! Voulez-vous bien tourner les talons et déguerpir immédiatement ?--Mon bon Bouchot….., fit Méry.--A la porte !--Mon cher François…. dit Balzac.--File, file !--Mais saperlotte ! reprit Delacroix d'un ton sec, vous ne savez donc pas que Privat s'embête ? »
La colère du peintre s'éteignit subitement. Il déposa sa palette et ses brosses, et descendit quatre à quatre les degrés de son échelle, en répétant :
«  Et quoi ! Privat s'embête ? »
Et de sa plus douce voix, Bouchot ajouta :
«
Mes chers amis, cela ne peut durer plus longtemps… j'ai gagné 14000 francs, je les prend, et nous allons essayer de distraire notre pauvre camarade. »
Le lendemain matin, les 14000 francs étaient dépensés, Privat ne s'embêtait plus, et tout le monde était content.
Quand bien même cette historiette ne servirait qu'à démontrer la sympathie qui entourait Privat, nous ne devions pas oublier de la mentionner ici.
Alexandre Pothey

Tableau de François Bouchot 

-Le passage du Commerce-Saint-André-des-Arts était dans le XIéme arrondissement, quartier de l'école de Médecine. Cette voie commençait 71 rue Saint-André-des-Arts, et finissait au numéro 30 de la rue de l'école de Médecine (partie disparue après le percement du boulevard Saint-Germain) Le passage faisait partie de la Cour du Commerce? construit contre le mur d'enceinte de Philippe-Auguste. Ouvert en 1776 sur le terrain d'un jeu de paume, c'est là que les docteurs Louis et Guillotin firent procéder  à des essais de "décapitation" sur des moutons !!!. Le débouché vers la rue Saint-André-des-Arts n'a eu lieu qu'en 1823.

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** Le café de la Mère Moreau se trouvait place de l'École, qui  donnait sur le Quai du même nom près du Pont-Neuf, à l'emplacement actuel de la pointe des magasins de la Samaritaine (qui vont disparaître à leur tour) à l'intersection des rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois, de la rue de l'Arbre-Sec et du quai de la Seine. La spécialité maison, était : les cerises à l'eau de vie, et la beauté de ses nombreuses serveuses peu farouches.

*** Bouchot (François) 1800-1842, artiste aujourd’hui oublié, était un peintre fort célèbre et riche à l’époque. Auteur de fresques historiques, il bénéficia de nombreuses commandes  du roi Louis-Philippe.

Mise à jour le 4 février 2009.


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