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La cabane dans les bois (1)

Publié le 07 février 2009 par Feuilly
Autrefois j’habitais une petite maison, en bordure d’un grand bois. Personne aux alentours, rien que les loups qui parfois, en hiver, venaient renifler le seuil au milieu de la nuit.
Qu’auriez-vous voulu que je fisse, en cette contrée, si ce n’est me promener dans la forêt immense et tenter de me retrouver après m’y être perdu. Je marchais donc ainsi, des journées entières, observant les mélèzes résineux et odorants ou bien guettant le vol des oiseaux de proie, qui, tout là haut, lançaient dans le ciel leur cri de fin du monde. J’arpentais les sous-bois, empruntais les halliers, longeais des marécages aux limites imprécises, rampais sous les ronciers, débouchais dans des clairières inondées de lumière et revenais vers ma demeure par des chemins de traverse, passablement troublé de ces expéditions fantastiques, mais complètement heureux.
Le soir, pour me distraire, quand la grande nuit était venue, j’allumais un feu dans la cheminée, puis je m’installais devant l’âtre, à même le sol, me chauffant et m’éclairant tout à la fois grâce aux belles flammes qui crépitaient doucement. Quand j’avais bien songé, quand j’avais bien rêvé, quand tous les incidents de la belle journée s’étaient ordonnés comme il se doit dans les tiroirs de ma mémoire, je prenais un livre et entamais ma lecture. Les heures défilaient sans que je ne m’en rendisse compte, tant j’étais captivé par ces récits de voyage, et souvent l’aube naissante me surprenait là, grelottant légèrement devant l’âtre éteint. Alors, à regret, je fermais le livre aux enchantements et m’acheminais comme je pouvais vers mon lit, les yeux mi-clos, déjà tout endormi, tandis qu’à l’extérieur le cri du premier oiseau troublait l’éternel silence.
Ces jours-là, évidemment, je me levais tard, fort tard même parfois et il était impensable d’aller arpenter la grande forêt toute la grande journée. Alors, après avoir vaqué à mes menues occupations, je replongeais dans le livre comme dans un bain tiède et doux et poursuivais ma lecture. J’en étais resté au moment où la première croisade se mettait en marche ou bien j’avais laissé les soldats du roi de France en train d’assiéger le dernier château cathare. L’Histoire était là, dans ma chambre, et les Huns sanguinaires ou les Vandales intrépides n’en finissaient pas de déferler sur l’Europe, tuant et saccageant des peuples innocents, allumant des brasiers incroyables qui éclairaient encore ces siècles reculés. La marche du monde était là, dans ces événements du passé et je croyais entendre les pas des légions romaines sur les routes dallées ou les cantiques des moines dans le chœur des abbayes cisterciennes. Voici Napoléon partant vers la Russie, ne se doutant pas que l’hiver l’attend là-bas, au creux des steppes asiatiques, et voilà Hannibal traversant les Alpes avec ses éléphants, débouchant dans la plaine du Pô et contemplant la belle Italie inondée de lumière et offerte à lui comme un corps de femme.
Je lisais si longtemps et je vivais si intensément le contenu de ces livres que le soir me surprenait sans que j’eusse mis le nez dehors. Alors je me faisais un peu violence et laissais Roland à son sort, aux prises avec les Basques au col de Roncevaux et je m’enfonçais dans la nuit. Souvent il pleuvait et le bruit des gouttes sur les feuilles me rappelait l’écho sonore des cathédrales du Moyen-Age, au point qu’il me semblait entendre de nouveau les chants de ces moines dont j’avais lu la veille la vie recluse et tout entière tournée vers l’au-delà. « Aurais-je été moine, moi aussi, si j’avais vécu à cette époque reculée ? » me demandais-je en souriant intérieurement. C’eût été probable car après tout ma vie recluse dans cette contrée déserte s’apparentait un peu à leur démarche mystique. Ne voyant personne, sans cesse plongé dans mes lectures, il n’y avait pas grand chose qui me différenciait d’eux, finalement, si ce n’est cependant l’essentiel, leur croyance béate en un dieu de bonté dont ils n’arrêtaient pas de chanter la gloire.
Moi, c’est la nature que j’admirais et si je savais qu’elle était aussi grandiose que leur Dieu, je savais aussi qu’elle pouvait être cruelle. Souvent, à ce moment de mes réflexions, le hurlement des loups dans les lointains semblait me donner raison. La nature est belle, merveilleusement belle, mais elle est aveugle et ne fait pas de sentiment. Chacun chasse pour survivre et tant pis si on est né victime. Je décidais alors prudemment de rentrer car l’instant était mal choisi pour aller se perdre dans l’obscurité. Sait-on jamais comment cela pourrait finir ? Le vent se levait et je sentais dans mon cou les gouttes de pluie qui commençaient à s’infiltrer, froides et humides et c’est finalement avec soulagement que je me retrouvais chez moi. Je retirais mon manteau et me mettais au lit. Il était trop tard pour allumer le feu et recommencer à lire. Tant pis pour Roland, il continuerait à sonner du cor toute la nuit et devrait attendre l’aube pour mourir en beauté.
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