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Nueva York Supa-Heroes sur La Brève & Merveilleuse Vie d'Oscar Wao de Junot Díaz

Par Fric Frac Club
Énième gros dèrche de la semaine (après Albert Albert, cet empatté de Jimmy Corrigan, Hiro Nakamura, après Titan le gros nul ou Davis Goldberg le gros nase) : Oscar Wao, chez nous précédé d'une flopée d'articles tous aussi enthousiastes les uns que les autres même pour ceux incapables de croire que dans la deuxième moitié d'Hispaniola on fait aussi des tours de magie bizarres. Vainqueur du prix Pulitzer 2008, The National Book Critics Circle Award, Nùmero Uno au classement 2007 de Time Magazine, acclamé pour son style (spanglish un peu foireux dans sa traduction on y reviendra), roman qui extirpe la culture latino du ghetto, La Vie Brève & Merveilleuse d'Oscar Wao de Junot Díaz est tout ça à la fois, un peu plus & par moments un peu moins.
Mais alors c'est quoi le problème avec Oscar ? Fils d'une immigrée dominicaine qui n'a rien à envier à la sœur d'Ugly Betty, gros disais-je, cœur d'artichaut, fan de SF, du Seigneur de Anneaux & de dessins animés, frustré du cul, Oscar Wao est une micro bulle quasi invisible dans l'écume de la communauté tcha-tcha-tcha de Patterson dont l'unique ambition, outre écrire une trilogie à la E.E. Cummings, est d'enfin pouvoir tremper son biscuit, par pitié, au moins une fois. Il y est aussi question de sa sœur Lola, de sa mère (la Ugly-Betty's-sister-like muchacha), de son défunt grand-père, le docteur Cabral, avec qui la malédiction de la famille commence, de Trujillo dit le Sauron des Caraïbes, L'Œil de Saint-Domingue, le Grand Baiseur de Culo. En fait il est question de toute ce petit monde qui, à l'image du livre lui-même, fait l'essuie-glace entre la République Dominicaine & Nueva York.
Roman choral (on va veiller à ce que ça soit la dernière expression scolaire utilisée dans ce papier – juré), Oscar Wao est un livre aux résonances multiples – il est d'autant plus compliqué d'organiser le magma de notes & de références que j'ai sous le coude pour en sortir quelque chose de cohérent. Du moins de lisible. Je pourrais simplement commencer par le style de Díaz qui fit couler pas mal d'encre outre-Atlantique, qui est aussi à la source de son succès d'estime & critique que par chez nous, avec l'ironie & le cynisme qui nous caractérise, nous aurions sans doute qualifier de « roman de l'intégration » écrit dans la langue « composite d'une minorité visible ». Ce spanglish dont on a pas fini de chanter les louanges après en avoir fait des caisses avec l'ebonic, le Cosby Show & le Double-dutch dans les années 90. Il est là, paraît-il, le véritable angle de tir de ce roman tant attendu (Junot Díaz a mis onze ans pour l'écrire). Il est là, ce style spanglish dont Ilan Stavans considère, dans la PRL & repris dans Books, qu'il arrive à son apogée en ces pages. Oui, oui d'accord mais c'est quoi ce machin ? Ce truc si sensas que l'on doit aux porto-ricains débarqués à New York dans les années 50 (souvenez vous: les Sharks) & qui s'est infiltré dans toutes les sédimentations langagières des enfants du sous-continent américain. Car il y a un spanglish pour les portoricains de New York, un pour les mexicains de L.A., un pour les cubains de Miami & un pour les dominicains du New Jersey... paraîtrait même qu'à Gibraltar aussi, mais bon... C'est un idiome à l'évolution quasi perpétuelle comme tous les vernaculaires parlés dont l'écrit n'a pas encore fixé les règles. Mais l'écrit, justement Junot Díaz s'en occupe & il y a un certain exotisme à suivre les membres de la famille d'Oscar aux prises avec leur fukù (sorte de mauvais esprit) même si j'ai trouvé ça assez artificiel quelquefois. Cette diglossie glorifiée par Stavans pourrait apparaître, pour le lecteur français en tout cas, comme un condiment linguistique, un gadget stylistique qui donnerait droit au label « latino », un peu comme ça se passe pour ces horribles scribouillards de La Provence ou de La Marseillaise qui empilent leurs « polars marseillais » en les saupoudrant de « peuchère » « engambi » & « dégun » toutes les trois lignes comme on suit la recette des pieds-paquets à la lettre.
Alors je me suis dit que le problème venait peut être de la traduction de Laurence Viallet. Il est franchement curieux qu'elle n'est rien trouvé d'autre que le verlan pour traduire le slang de Patterson & Washington Heights. Du verlan, du verlan & encore un bout siou plaît, surtout, mais je peux me tromper, qu'il s'agit là d'un usage linguistique assez caractéristique du nord de la France, voire même de la ceinture parisienne. Tout comme le mot « daron » utilisé par Viallet pour traduire « père » en langage djeun's 2 rue. Il y aussi ces mots tout simples du genre « maison », « fou » ou « animal » qui sont en français dans la traduction suivis d'un astérisque précisant que ces mots sont en fait en espagnol dans la version originale (????). C'est vraiment vraiment curieux, je ne vois pas bien l'intérêt d'une telle précision dans un texte qui, de facto, est bourré d'expressions dominicaines, espagnoles, de dialogues entiers qui, eux par contre, auraient sans doute mérité une note de bas de page. Histoire de comprendre. Mais bon, ce sont des détails qui n'entravent en rien la lecture du livre. Juste du poil à gratter.
Sinon j'ai vraiment eu le sentiment que La Vie Brève & Merveilleuse d'Oscar Wao se trouve, bel & bien, dans la continuité de l'histoire littéraire américaine. A l'image de son héros le livre de Díaz est un glouton référentiel qui ne cesse de montrer de quoi il est capable : bildungsroman, roman post-moderne avec ces notes en bas de pages (la plupart du temps un peu ennuyeuses & dont le principal atout est de faire enter la culture wikipedia dans un livre fait avec des vraies feuilles) à la manière de David Foster Wallace, de David Mamet mais surtout du Feu Pâle de Nabokov. Impossible aussi d'ignorer la filiation avec la galaxie Eggers/Safran Foer, les deux petits génies comptables de la littérature U.S. Roman geek, roman nerd encore où les références pop sont légion, où Trujillo est assimilé à Sauron, où la confrontation violente entre deux mondes si différents (la République Dominicaine, dictature tiers-mondiste & le New Jersey) trouve comme palliatif la lecture & l'écriture de romans de SF, la matage compulsif de films d'animations, la collec' de posters pourraves là où d'autres auraient préféré une bouteille de Damoiseau ou une partie de jambes en l'air. Roman historique sur l'une des dictatures les plus violentes du secteur, vue de l'intérieur, vue par les corps mutilés, violés ou disparus d'un peuple soumis qui sert d'angré aux champs de cannes à sucre. Selon Fausto, les meilleures parties du livre (& je suis pas loin de penser comme lui) & qui renvoient avec peine à La Fête au Bouc de Mario Vargas Llosa. Roman du surnaturel démentiel de cette petite île qui concentre tous les démons de l'histoire & sort le Mumbo Jumbo d'Ishmael Reed de sa torpeur. Une île, deux pays, deux foutus esprits (fukù pour Díaz, jes'grew pour Reed) mais la méthode demeure la même. Enfin, on pense aussi au Cent Ans de Solitude de Marquez qui tisse sa pelote autour de la malédiction originelle de tous les José Arcadio du monde. Ici pas de queue de cochon mais ce putain de fukù qui ne laissera personne en paix.
Mais plus que tout, Oscar Wao s'inscrit en plein dans la tradition américaine d'un « roman familial » qui remonte à Hawthorne & qui n'a cessé de se réamorcer & de s'amplifier, voire de s'aseptiser par endroits – là je pense notamment aux auteurs d'atelier dont les ficelles sont de plus en plus visibles /prévisibles & dont on dirait que la famille est le principal fond de commerce... Arbre généalogique>>> famille bourge & banlieusarde qui s'emmerde (Ice Storm de Moody), famille dispersée (Les Corrections de Franzen), famille amnésique (Tourmaline de Joanna Scott, Inversion de Brian Evenson), famille pléthorique (Les Cent Frères de Donald Antrim), Famille poussée sur la route (Les Raisins de la Colère de Steinbeck), famille anarchiste & vengeresse (Contre-jour de Thomas Pynchon), famille ardente (Ada de Nabokov), famille assise devant la télé (Souvenirs de mon Père de Curtis White), famille en fuite (Motel Life de Willy Vautrin), famille monoparentale (La Conjuration des Imbéciles de John Kennedy Toole), famille psychotique (Toutes les Familles sont Psychotiques de Douglas Coupland... même si il est canadien), famille massacrée (De Sang-froid de Truman Capote), famille impossible (La Lettre Ecarlate de Hawthorne, Ma vie, Ma Vie Magnifique de Lydia Millet, Inversion de Evenson, tout Fante ???), famille juive (Roth, Singer), famille noire (Richard Wright), famille apatride (Thomas Wolfe), famille italienne (Fante), famille indienne (Irwin Welsh), famille allemande (Erdrich) & donc, aujourd'hui, famille dominicaine.
L'assimilation culturelle & historique à l'air de se faire toujours plus rapidement aux États-Unis que partout ailleurs & plus particulièrement chez nous où l'absurdité constitutionnelle se posait encore la question des bienfaits de la colonisation & de ce qui en a suivi. C'est un peu dommage parce que si on doit se contenter des romans de Faïza Guene pour en savoir un peu plus... Ça m'a toujours laissé sur le cul cette faculté à rendre immédiatement une expérience collective & traumatisante (que ça soit ressenti au niveau de la particule élémentaire ou à celui de la nation entière) dans n'importe quel mode (film, disque, livre) & réussir à intéresser la moitié du globe avec. Comment se fait il qu'on se passionne autant pour la mort de Marilyn Monroe ? Pour le bordel que quelques ritals de New York ou Chicago ont bien pu faire ? Comment se fait-il que j'ai vu au moins cinq fois JFK d'Oliver Stone avec le même plaisir ? Comment expliquer que mon cousin soit capable de faire un classement de ses films préférés sur la guerre du Vietnam alors qu'il ne connaît même pas la date de Dien Bien Phu où son grand-père à perdu une jambe ? Quand l'esthétique & la sublimation totale de la courte, très courte histoire d'un pays s'enfoncent dans notre inconscient culturel & collectif. Quand on peut lire le récit d'une famille d'immigrés dominicains en comprenant de quoi il s'agit & en parvenant à en apprécier la forme on peut aussi légitimement se demander : est ce qu'un film sur la guerre d'Algérie fera un jour le tour des salles obscures du monde entier ? Est ce que des bouquins sur l'attentat du petit Clamard se vendront comme des petits pains dans les librairies du Dakota ou feront l'objet d'une chronique sur un blog californien? Encore une fois je trouve ça fascinant, cette machine typiquement américaine à compacter Histoire, variantes sociales, flou politique & identitaire. Junot Díaz, inconsciemment ou pas, fait aussi partie de cette grande parade réflexive sur l'histoire de son pays, des gens qui y vivent & de l'attrait qu'ils font naître chez nous. Comme un bon livre sur une famille d'immigrés dominicains vivant à Patterson dans le New Jersey. Ni plus ni moins.
M.A.C.P.L.A.
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Fausto: The Brief and wondrous Life of Oscar Wao

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