Magazine Beaux Arts

Gina Pane

Publié le 14 février 2009 par Marc Lenot

34040483articles-intrepides-jpg.1234645888.jpgJe cherchais un prétexte pour partager avec vous, pour le trentième anniversaire de sa parution dans Le Monde du 1er février 1979, des extraits d’un texte d’Hervé Guibert, titré “Happening : Gina Pane à Beaubourg“, admirable d’élégante cruauté, repris dans le recueil ‘Articles intrépides’ récemment édité chez Gallimard. Cette exposition au Hangar à Bananes de Nantes (jusqu’au 26 avril) me l’offre. Pourquoi plus aucun critique, au Monde ou ailleurs, n’écrit-il ainsi aujourd’hui ?

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“Deux cents personnes environ, sur mille cinq cents invitées, se sont rendues à la convocation du Centre Georges-Pompidou, le vendredi 26 janvier à 19h30, pour assister à une “action” de Gina Pane intitulée Mezzogiorno a Alimena 3. Il y avait quelques Parisiens raffinés, des Italiens venus soutenir la starlette de leur body art, des féministes, une jeune fille obèse avec des chaussons de velours noir lacés et des bas jaunes. Quelques étudiants en histoire de l’art se racontaient la dernière action de Journiac, qui les avait aspergés de sang de brebis et de tripes. Le solitaire, perfidement, écoutait les conversations. Comme dans la cour de récréation, certains étaient venus pour crier : “Du sang !”. Qui pouvait encore être fasciné ?

Le corps de Gina Pane ne dégageait aucune odeur suffocante, n’a révélé aucune nudité aberrante. Gina Pane ne s’est arraché aucun ongle pour le concasser entre ses iliaques précédemment extraits. Le dommage au corps, l’outrage que tout le monde attendait a été minime : quelques aiguilles d’acupuncture finement fichées dans le bras, la main tenant une pelote de laine noire, le visage mimant la concentration, parfois un repli douloureux. Gina Pane a sauté pieds joints sur une plaque de verre, mais elle avait des baskets, elle a dit : “Merci, merci beaucoup”, c’était fini, un type en rigolant est allé ramasser, comme une relique, un éclat de verre.

“Action” ? Représentation dont chaque geste avait été répété, et qui était maintenant enregistrée par l’appareil photo et la vidéo. Les clichés seront bientôt vendus, numérotés, dans une galerie de la rue de Seine. Gina Pane mixait son corps vêtu d’une chemise et d’un pantalon blancs, et celui d’une partenaire, avec une bande-son qui débitait des prénoms italiens et des noms de villes et de pays, des diapos projetant des écrans lumineux où les corps se découpaient, un tableau noir prêt à recevoir des dessins enfantins, et des grandes lunettes aveuglées par du papier, la voix, juste un son, “è”, répété jusqu’à l’épuisement, jusqu’au cri, mécaniquement, schizophrénique, bientôt déshumanisé. La photographe encerclait chaque mouvement, et encore au-delà, dans l’ombre, un autre encerclement : les agents de sécurité de Beaubourg avec leurs talkies-walkies. Décrire minutieusement le déroulement du rituel ne ferait que démontrer la pauvreté des images et de la création. Sans parler des trapézistes et des strip-teaseuses, les bouchers à leur devanture, les femmes ivres dans les cafés, les usagers atrabilaires des autobus sont des faiseurs de happenings plus efficaces.” 


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